Si l’on pense à une histoire d’amour tragique, ce sont les duos de Roméo et Juliette, de Parker et Hatchi (oui, le chien) ou encore de Rose et Jack qui traversent habituellement notre esprit. Pourtant, ces jours-ci, la rupture qui me fait mal à l’âme est plutôt celle du milieu artistique québécois et du militantisme dont il était jadis imprégné.
Depuis déjà un an, les sphères artistiques se sont heurtées à un énorme iceberg qu’elles n’avaient point vu venir, la pandémie. Et comme Rose à la fin de Titanic, leurs appels à l’aide demeurent sans réponse.
À la mi-mars, un inquiétant rapport préparé par la Fédération nationale des communications et de la culture a été dévoilé. Plus de 30 000 personnes du secteur culturel ont perdu leur emploi au cours de la dernière année. Parmi les 2 000 personnes sondées dans le cadre du rapport, 72 % ont dit vivre de la détresse psychologique, plus de 43 % disent présenter des symptômes de dépression majeure et 11,7 % ont indiqué avoir eu des pensées suicidaires depuis le début de la pandémie.
Plus d’une personne sur dix a pensé mettre fin à sa vie.
Et malgré ces constats criants, bien peu de moyens sont mis à leur disposition pour les aider à traverser cette crise, pendant laquelle les artistes sont d’ailleurs énormément sollicité(e)s.
Cela dit, les artistes sont reconnu(e)s pour défendre le bien commun avant leurs propres intérêts. Normalement, lorsque la situation est urgente, ils et elles prennent micro, pinceau ou caméra pour décrier les injustices ou encore pour faire valoir leurs opinions.
La question nationale est un bon exemple pour illustrer la ferveur dont étaient empli(e)s les artistes du 20e siècle. Chansons, livres, pièces de théâtre, toiles, films : les œuvres d’art souverainistes se succédèrent les unes après les autres pendant deux décennies. Cette flamme révolutionnaire qui habitait l’âme de nos artistes semble toutefois s’être refroidie au fil des années. Est-ce l’échec du second référendum qui a laissé un goût amer et un sentiment de désenchantement dans le cœur de nos créateurs et de nos créatrices ? Peut-être, mais cela n’excuse pas l’absence des rebelles dans nos rues lorsque vient le temps de scander des discours revendicateurs. Comme l’a écrit Serge Fiori : « Où est allé tout ce monde qui avait quelque chose à raconter » ?
La professeure enseignante en histoire de l’art à l’UQAM Ève Lamoureux pense qu’il y a autant d’artistes engagé(e)s aujourd’hui que dans le temps de ce grand parolier. Ils et elles seraient simplement plus discrets et discrètes. Pour la professeure qui est aussi autrice du livre Art et politique – Nouvelles formes d’engagement artistique au Québec, ce n’est pas parce que les batailles n’ont plus « les allures de grandes luttes communes » qu’elles n’existent pas pour autant. L’autrice a notamment inscrit dans son ouvrage que plusieurs croyaient que « la période phare de l’engagement des artistes était, dans les esprits, révolue ».
Il serait facile de le croire, quand on regarde le mutisme des artistes délaissé(e)s par la société alors que les politiques gouvernementales cette année en matière de culture ont donné amplement matière à se révolter. Quelques statuts sur les réseaux sociaux, ce n’est rien d’aussi poignant que ce dont on les sait capables. En même temps, quand ce sont les subventions de ce même gouvernement qui te permettent de manger, il devient difficile de mordre la main qui te nourrit.
Peut-être que le militantisme s’est simplement trouvé un nouveau visage. Plus doux, moins tape-à-l’œil. Parce que les artistes se sont porté(e)s à la défense de la liberté d’expression en humour, de la planète ou encore des victimes de violences à caractère sexuel au cours des dernières années. Il y a encore peu de temps, l’humoriste Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques s’exprimait au gala Les Olivier sur les plates excuses redondantes des artistes dénoncé(e)s.
Le militantisme artistique n’a peut-être pas sombré avec le navire. Il se réconcilie peut-être simplement avec ces artistes trop longtemps désenchanté(e)s. L’histoire ne peut avoir une fin tragique si elle n’a pas encore de fin.
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