Les Impermanents de Yann Pocreau : capturer le ciel

C’est dans une salle tamisée du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) que l’exposition lumineuse de l’artiste visuel Yann Pocreau Les Impermanents, presque entièrement constituée de pièces inédites, accueillera les visiteurs et visiteuses dès ce samedi 10 avril. 

Repoussée à plus d’une occasion depuis septembre, mois où Les Impermanents devait initialement rencontrer le public, la 10e exposition de Yann Pocreau – et sa première au MBAM – tient dans deux petites salles et laisse peu paraître le blanc du mur. C’est la commissaire invitée Sylvie Lacerte qui le dit : « l’exposition est sobre, mais bien remplie ».

Celui qui a fait sa maîtrise à l’UQAM et qui est aussi chargé de cours à l’université expose dans la première pièce une dizaine d’œuvres dont des cyanotypes, procédé photographique monochrome qui donne un résultat d’un bleu profond et énigmatique. Un mur accueille aussi une trentaine d’impressions lumen (réalisées avec la lumière du soleil) qui flirtent avec des tons pastel. Quelques-unes n’ont pas de fixateur : le résultat montré n’est donc pas immuable. Mme Lacerte avance même que les photographies argentiques s’altéreront d’ici la fin de l’exposition, en août prochain. « Ça va à l’encontre du principe selon lequel un musée acquiert une œuvre pour la vie, détaille-t-elle. C’est très audacieux ».

yann pocreau
Yann Pocreau et ses oeuvres, Les calculs 1 et Calculations 1

Les yeux se posent inévitablement sur Rayons solaires, une installation in situ toute simple, mais étincelante, qui se partage deux coins de la première pièce. Elle ne peut être déplacée, d’où son appellation : les longs tubes dorés de l’œuvre, « des dessins dans l’espace » selon la commissaire, sont calculés, coupés puis installés de façon à ne faire qu’un avec le sol et le plafond.

 

Il y a le sol, le plafond, bien sûr, mais ensuite le ciel et l’espace. Ce dernier fascine M. Pocreau, tellement que l’artiste a effectué un séjour de recherche à l’Observatoire du Mont-Mégantic en 2018. Non seulement une source d’inspiration majeure pour certaines des œuvres des Impermanents, le séjour a aussi « changé [la] vie » du photographe, affirme-t-il sans détour. Pas sur le plan scientifique – « je n’y connais rien » –, mais plutôt sur le plan philosophique : la place que l’on occupe dans l’univers et cette fameuse notion d’impermanence qui teinte l’exposition du début à la fin.

Histoire d’étoiles 

Les Impermanents se poursuit dans la seconde pièce, étroite et sombre, qui héberge l’œuvre maîtresse éponyme. Au ras de trois murs, Yann Pocreau a minutieusement disposé pas moins de 74 portraits anonymes format cabinet datant de la fin du 19e siècle.

L’œuvre ne s’arrête pas là. Dans le souci de marier l’infime au grandiose, l’artiste a perforé chacune des cartes de façon à y inscrire une constellation, une vraie, et parfois deux ou même trois. Une source lumineuse jaunâtre en dessous des photographies contribue à la juste représentation des étoiles qui se révèlent une fois le soleil tombé. « Les 88 constellations sont toutes là », affirme  l’artiste avec fierté.

 En résulte une pléiade scintillante de visages capturés il y a des centaines d’années et brocantés par l’artiste ; il a choisi d’en exposer 74 sur plus de 300. « Tout ce travail pour se faire photographier à l’époque, pour finir par passer d’une brocante à l’autre… ça me fascine », confie le photographe.

 Ce morceau clé de l’exposition, le premier qu’il était certain de vouloir montrer, s’accompagne d’une levée et d’une descente de lune sous forme de diapositives projetées au mur, capturées à l’été 2018. Un tout qui frôle la mise en scène, transporte et émeut de par sa glorification d’images qui auraient autrement terminé aux oubliettes.

Douce abstraction

 « Ce n’est pas une exposition politique, avec un message fort. C’est plutôt philosophique », indique Sylvie Lacerte. M. Pocreau, avec Les Impermanents, cogite sur l’espace, la lumière, le temps et ses déviations. L’exposition atteint définitivement son apogée dans la dernière salle, malgré des échos subtils et ingénieux entre les photographies présentées en amorce.

Yann Pocreau, pour qui la pandémie fut synonyme de néant artistique le temps de quelques mois, semble renaître avec cette toute nouvelle exposition. Certaines des œuvres affichées ont même été créées entre les annulations et les reports, comme les épreuves lumen « terminées il y a trois semaines », note-t-il. Le quadragénaire, loin d’être à court de mots, file d’une œuvre à l’autre, aussi vivant que son art. « Ça fait du bien, tu n’as pas idée, d’enfin pouvoir montrer tout ça aux gens ».

Mention photos Lila Maitre | Montréal Campus

 

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