Lettre de démission de la déléguée étudiante sur le C.A. de l’UQAM Stéphanie Thibodeau à l’intention de la communauté étudiante.
«1er février 2021, Montréal.
Objet : Démission du conseil d’administration et du comité exécutif de l’UQAM
À la communauté uqamienne,
C’est avec soulagement que je vous remets ma démission pour les postes de déléguée étudiante. En toute sincérité, il y a longtemps que je souhaite le faire, si ce n’avait été que j’étais la seule déléguée étudiante depuis le départ de ma collègue Maxine Vizotzky-Charlebois en mai dernier. Certes, je suis restée en poste parce que j’accordais encore de l’importance à une présence étudiante à table pour offrir au moins une voix aux près de 40 000 étudiant·es que nous étions à vivre de nouveaux trimestres en ligne dans ce contexte de pandémie et, visiblement, la Direction a tardé à lancer la campagne de nomination de la nouvelle délégation étudiante à l’automne.
Bien que je trouve regrettable de devoir quitter le poste alors que mes successeures Mariama Dioum et Élizabeth Duboc n’ont pas encore obtenu leur droit de vote, le climat toxique qui a pris place trop longtemps au CA et au comité exécutif ne me laisse d’autre choix. J’ai également accumulé de nombreux désaccords, à commencer par la dérive autoritaire en cours dans notre université ainsi qu’avec certaines décisions, nominations et visions. Rappelons-nous que l’UQAM est un établissement d’enseignement financé par des fonds publics avant tout, pas une entreprise, et que des transformations majeures doivent être mises en place pour prévenir et agir contre le harcèlement, les discriminations et les agressions, et ainsi faire de l’UQAM un milieu de travail, d’études et de vivre-ensemble plus sain et inclusif.
Un climat toxique digne de Rideau Hall
Depuis plus de 10 ans, divers traitements ont été réservés aux délégations étudiantes engagées qui ont été nommées au CA pour faire valoir les enjeux de la communauté étudiante, allant jusqu’au renvoi de deux administrateur·ices en 2015. De mon côté, j’ai assurément eu droit à une palette de situations pouvant mener à du harcèlement, ce que la Politique 42 sur le respect des personnes, la prévention et l’intervention en matière de harcèlement de l’UQAM définit comme « situation problématique qui met en jeu la dignité ou l’intégrité physique ou psychologique d’une personne » (art. 4.17) et qui inclut l’« abus de pouvoir ou d’autorité » (art. 4.17.1) ; et à du sexisme selon l’article 3.5 de la Politique 16 visant à prévenir et à combattre le sexisme et les violences à caractère sexuel de l’UQAM.
En plus d’un traitement condescendant à mon égard et de refus répétés de me laisser le droit de parole, j’ai reçu à de nombreuses répétitions des critiques désobligeantes quant à mes interventions. Bien que mon mandat était de rapporter au CA le fruit de mes consultations auprès de la communauté étudiante, j’ai eu droit trop souvent à une administration qui faisait la sourde oreille plutôt que d’adresser les problèmes soulevés par la partie étudiante, les comptes-rendus des témoignages et des inquiétudes vécues par des étudiant·es étant fréquemment identifiés comme dérangeants ou hors propos. J’ai également dû annoncer en décembre dernier que je ne participerais plus aux discussions en huis clos à la fin des rencontres, discussions dont tous les propos sont tenus confidentiels, en raison du traitement qui m’y était accordé.
Je vous partage ici cette intervention de ma part que j’ai offerte comme leg au CA, en soulignant l’importance qu’elle soit inscrite au procès-verbal après qu’elle soit passée sous silence la première fois : « Avec l’arrivée de nombreuses nouvelles personnes au CA, notamment celle de mes deux collègues étudiantes, je vous invite à réfléchir aux notions de respect, de bienveillance et de démocratie auprès de cette instance. Le Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement (BIPH) de l’UQAM offrira bientôt des séances de formation sur le vivre-ensemble sur les instances et j’estime que cette formation sera tout à propos pour le CA afin de favoriser un climat de délibération plus sain et démocratique auprès de cette instance et de son huis clos. J’aime l’UQAM, et si j’ai tenu à poser des questions et à soulever des inquiétudes étudiantes tout au long de mon mandat, ce n’était pas en opposition contre l’UQAM. Au contraire, c’était pour mettre en lumière les enjeux de la communauté étudiante étant l’administratrice qui avait le devoir de consulter la plus grande communauté de l’UQAM. Enfin, merci à toutes celles et ceux qui continuent à croire, à travailler et à s’impliquer pour une UQAM plus équitable et inclusive. »
Cacher cette dissidence qu’on ne saurait voir et autres dérives autoritaires
Qu’en est-il du devoir des administrateur·ices de prendre des décisions éclairées ? Plusieurs nouvelles pratiques imposées par la Direction de l’UQAM lors des deux dernières années ont malheureusement réduit le pouvoir de consultation, de préparation et de délibération des administrateur·ices. L’UQAM m’aura certes appris à me méfier de la notion de consensus. Finie l’idée d’une cohésion institutionnelle lorsque je lirai qu’une résolution a été adoptée à l’unanimité dans un Info-Direction : outre le fait que les abstentions ne sont pas prises en compte dans le constat de l’unanimité, elles ont été considérées comme tel de nombreuses fois alors qu’il n’avait pas été possible de voter, parfois même alors que le vote était très clairement demandé. Cela est sans compter le facteur temps, qui a souvent été utilisé par la présidence pour refuser des interventions et passer au prochain point. Ce désir de traiter rapidement des dossiers s’est d’ailleurs concrétisé avec l’arrivée inopinée et imposée d’un chronométrage des points à l’ordre du jour des CA en octobre 2020. Pire encore, il est arrivé trop souvent que la présidence ou des membres du conseil me demandent de changer mon vote en pleine séance lorsque je m’opposais ou m’abstenais au sujet d’une nomination ou d’une résolution, malgré le fait que mes prises de position aient toujours été réfléchies et argumentées.
L’administration refuse d’adresser les enjeux soulevés par la communauté et se cache ensuite derrière l’urgence d’agir pour imposer unilatéralement ses décisions, quitte à contourner les nombreux processus démocratiques internes. Un exemple révélateur est celui des « Modalités académiques des trimestres d’été et d’automne 2020 », un dossier fort important pour la population étudiante dans le contexte de pandémie mondiale de COVID-19 où la Direction a outrepassé la Commission des études (CÉ). En effet, en date du 9 juin 2020, des résolutions avaient été prises par cette instance responsable d’offrir des recommandations d’ordre académique au CA tel que prévu en vertu de la Loi sur l’Université du Québec (R.L.R.Q. c. U -1, art. 19) afin de permettre des assouplissements dans le cadre de ces trimestres de crise. Ces décisions devaient être entérinées par le CA avant d’être officialisées. Cela dit, ce n’est pas la résolution de la CÉ, mais bien une proposition de la Direction que le CA a été invité à adopter à la réunion du 23 juin 2020. Qui plus est, bien que le Règlement 2 de régie interne de l’UQAM indique que les documents doivent être remis aux membres au moins cinq jours préalablement à une assemblée afin de laisser un temps de préparation, le dossier fut envoyé le 22 juin 2020, et ce, avec l’indication qu’il était dorénavant « sous embargo », soit temporairement confidentiel. Par conséquent, tout le travail de réflexion et de négociation de interassociatif, intersyndical et de la CÉ pour trouver des mesures d’assouplissement afin d’améliorer les conditions d’études et d’enseignement pour l’été et l’automne 2020 fut alors rayé et c’est avec un total manque de transparence que furent finalement adoptées de maigres changements. Et ce fut sensiblement le même manège qui a eu lieu à nouveau au sujet des modalités à la toute fin de la session d’automne 2020.
L’UQAM, l’université du peuple ou une entreprise « rayonnante » ?
Dans son rapport annuel 2018-2019, l’ombudsman nouvellement retraitée Muriel Binette adressait au CA une recommandation des plus pertinentes : « En conformité avec sa mission d’accessibilité et de ses objectifs d’amélioration de l’expérience étudiante, l’UQAM aurait tout intérêt à développer une philosophie de service axée sur les besoins actualisés de sa population étudiante, d’en faire la promotion auprès du personnel académique et administratif, et de revoir les règlements des études en conséquence, s’il y a lieu. » Or, ce n’est pas cette philosophie, mais plutôt l’alerte constante d’une potentielle baisse de l’effectif étudiant et du nombre d’EETP (étudiant·e en équivalence à temps plein), ce fameux calcul du financement des universités selon le pointage de chaque étudiant·e, qui domine les discours de la Direction de notre université.
Certes, le recrutement de nouveaux·elles étudiant·es par l’internationalisation et le rêve de l’instauration officielle de l’éducation bimodale passent bien avant la rétention et la diplomation pour la Direction et le CA. Il semble d’ailleurs évident que c’est cette recherche de financement qui pousse l’UQAM à choisir d’investir dans son « rayonnement » à l’international et sur de nouveaux campus alors que les services actuels sont parfois désuets et souvent insuffisants ; à commencer par le psychologique et le soutien aux étudiant·es de l’international, parents, en situation de handicap ou issu·es de groupes minorisés. Et cela est sans parler de la crise de santé mentale qui sévit auprès de la population étudiante comme nous le révèlent plusieurs recensements à l’interne et les médias. En aucun cas, les étudiant·es ne devraient avoir à payer le prix d’une ambition démesurée et mal fondée de la direction et de l’administration.
Pourquoi est-ce que quatre trimestres de pandémie plus tard, quatre sessions de crise où la communauté demande des mesures rapidement et où les associations et les syndicats font des pieds et des mains pour proposer des solutions institutionnelles adaptées, pourquoi l’UQAM s’obstine-t-elle encore à être radine sur les assouplissements pour les étudiant·es et le personnel ? Pourquoi ne pas mettre plus d’argent et de collaboration avec la communauté pour innover et rayonner dans cette gestion de crise ? On ne peut que difficilement s’expliquer le fait que l’administration s’obstine à refuser les propositions de la CÉ depuis le début de la crise, mais qu’elle traite finalement le 23 juin 2020 de mesures d’assouplissement pour le trimestre d’été, trimestre déjà fini pour plusieurs à cette date ; ou qu’elle convoque en panique une rencontre extraordinaire du CA à la toute fin du trimestre d’automne 2020 pour suivre les autres universités en débloquant la mesure du droit au Succès/Échec pour un seul cours, une mesure proposée par la CÉ battue plus tôt au printemps. Si de telles situations ne me surprennent plus, elles ne cessent pas moins de décevoir et de laisser la communauté dans une anxiété généralisée.
Une autre question qui me brûle les lèvres : Comment justifier la facilité avec laquelle les salaires des cadres se voient augmenter annuellement, et à un bon pourcentage, alors que les employé·es des divers syndicats doivent faire des moyens de pression et des grèves pour n’obtenir que de faibles augmentations de salaire ainsi qu’une maigre amélioration de leurs conditions de travail ? J’espère que la grève du SEUQAM au trimestre d’automne 2019 restera gravée dans les mémoires institutionnelles comme la démonstration de comment une offre patronale décente d’augmentation salariale et une prise au sérieux des négociations de la convention collective auraient couté moins cher à l’UQAM et à sa réputation que l’annulation de la rentrée.
Pour une UQAM exempte d’agresseur·es
Dans une perspective de lutte contre le harcèlement et la culture du viol, un élément qui a assurément été épuisant au cours de mon mandat a été de devoir informer le CA au sujet des personnes dénoncées pour agression et au sujet de qui la peur ou des malaises persistaient. Le plus dur était de voir les réponses qui m’étaient accordées lorsque je brisais le silence. L’administration ne s’est pas gênée pour me faire savoir que cela était dérangeant et de l’ordre de la confidentialité. Pourquoi est-ce malgré la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur (R.L.R.Q. c. P -22.1) ; malgré les résultats de l’Enquête Sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire (ESSIMU ; Bergeron et coll., 2016) ; et malgré les actions et les vagues de dénonciation de professeurs agresseurs sur les réseaux sociaux, l’UQAM ne fait-elle pas plus d’efforts pour assurer un campus exempt d’agresseur·es ? Pourquoi est-ce que des professeur·es dénoncé·es pour harcèlement continuent à enseigner, à être nommé·es à des postes ou à être rémunéré·es même si cela génère des malaises dans la communauté et dans les médias ? Des changements sont impératifs à l’UQAM, à commencer par renverser le fait que la confidentialité prévaut encore sur la prévention du harcèlement sexuel et psychologique.
De plus, il est à savoir que le comité de la Politique 16 visant à prévenir et à combattre le sexisme et les violences à caractère sexuel fait partie des comités institutionnels où les étudiant·es sont les seul·es à ne pas être compensé·es ou rémunéré·es, encore aujourd’hui. Pire encore, les règlements prévoient pour ce comité des postes pour les étudiant·es issu·es de groupes minorisés, mais la pratique institutionnelle actuelle invite à ce qu’ielles soient pigé·es au hasard, pas nommé·es par leurs pairs en vertu de leurs compétences et de leur motivation. Les conditions sont-elles réunies pour assurer que cette instance soit représentative et démocratique alors les membres étudiant·es sont les seul·es à être bénévoles et qu’ielles sont là à titre personnel, pas comme délégué·e ? Non.
Pour une UQAM plus inclusive et antioppressive
Des changements majeurs sont plus que nécessaires contre les discriminations directes, indirectes et systémiques, dès maintenant. L’UQAM a définitivement besoin de mettre à jour ses politiques, notamment, pour démontrer son sérieux dans la lutte contre le racisme et en soutien à sa communauté. C’est ce que dénonce Christle Gourdet, une étudiante qui a vécu une situation de racisme dans un cours à l’UQAM. Elle a eu le courage de sortir sur la place publique et de dénoncer ce qui s’est passé. Elle a également entamé des procédures pour dénoncer la situation auprès de sa faculté et de l’UQAM. Cela dit, on apprend dans sa vidéo du 23 janvier 2021 que ce qui ressort de sa rencontre avec la protectrice universitaire est qu’à l’UQAM, en raison de politiques déficientes quant aux actes racistes, ces cas sont traités comme des cas isolés.
Du côté des politiques institutionnelles, la politique archaïque de 1995 nommée Politique no 28 sur les relations interethniques doit être révisée dès maintenant pour offrir du soutien aux victimes de racisme et faire en sorte que cela ne passe plus sous silence. La Politique 42 sur le respect des personnes, la prévention et l’intervention en matière de harcèlement de l’UQAM doit également être revue pour que les victimes d’actes de discrimination raciale soient réellement soutenues par l’UQAM. De fait, la Politique no 28 sur les relations interethniques prévoit un Comité institutionnel sur les relations interethniques qui a pour mandat de veiller à ce que la politique soit appliquée de façon générale et de l’évaluer, de recommander aux responsables de l’université et aux instances « toute action susceptible de favoriser l’harmonie des relations interethniques dans la communauté universitaire, y incluant des moyens appropriés de formation, d’information et de sensibilisation de la communauté universitaire contre le racisme et la discrimination et le harcèlement racial », de soumettre annuellement à la CÉ et au CA un rapport d’activités. Il doit aussi être informé des plaintes en la matière qui sont reçues. Or, comme le dénonce une récente mise en demeure à l’intention du vice-recteur au développement humain et organisationnel de l’UQAM (Me Silverman, 2021), aucun de ces mandats n’a été exécuté depuis l’instauration de cette politique en 1995. D’ailleurs, la réponse de l’UQAM à ce sujet est fort décevante, résumant les actions de « l’UQAM comme université populaire ouverte aux communautés » en 2020 comme suit : deux rencontres entre la Direction et un groupe de professeur·es sur la question de de l’EDI, un Info-Direction nommé « Équité, diversité et inclusion (EDI) : de nouvelles actions pour 2021 » signé par trois vice-recteurs et à un appel de candidatures « sous peu » pour former le Comité et ainsi respecter les politiques règlements de l’UQAM. Comme si les « actions » de la dernière année, si l’on peut les appeler ainsi, pouvaient pallier plus de 25 ans d’immobilisme en la matière.
Du reste, au sujet de l’EDI, avez-vous entendu parler de la création incognito d’un Secrétariat de l’EDI (équité, diversité, inclusion) et d’un Bureau de l’inclusion et de la réussite étudiante (BIRÉ) ? Créés dans l’ombre et sans consultation, plus particulièrement le BIRÉ lors de la restructuration majeure et sous embargo des services de l’UQAM (dossier Restructuration de certains services aux fins de cohésion institutionnelle, 24 septembre 2020), c’est « lieux » soulèvent beaucoup de questionnements : en quoi consiste ces nouvelles instances ? Comment les utiliser ? Comment les personnes qui y siègent ont-elles été choisies ?
Parce qu’il faut conclure
Pour en revenir au poste d’administrateur·ice étudiant·e, un besoin est clair : celui que l’UQAM offre à ses représentant·es un outil de consultation de la communauté étudiante, comme c’est le cas pour les autres communautés uqamiennes par le biais de leur syndicat. Je le répète, il est de notre mandat de consulter la population étudiante au sujet des différents enjeux traités au CA. À quoi bon nous offrir des places à la table du CA sinon. Cela aiderait assurément à ce que le CA puisse prendre des décisions plus éclairées avec un éventail d’informations pertinentes provenant des différents groupes, pas seulement de la Direction. Cela veillerait également à ce que les représentant·es étudiant·es ne soient pas menacé·es pour de soi-disant écarts de déontologie lorsqu’ielles publient des éléments non confidentiels. De fait, l’UQAM étant une université financée par des fonds publics, il serait fort approprié qu’elle rende disponibles en ligne les documents de préparation non confidentiels, ou du moins les ordres du jour et les procès-verbaux comme le font plusieurs autres universités.
Enfin, c’est avec une grande estime en Mariama Dioum et Élizabeth Duboc comme nouvelles déléguées étudiantes au CA de notre université que je conclus mon mandat. Je les remercie d’accepter de prendre le flambeau de la délégation étudiante et espère de tout cœur que le harcèlement prenne fin au CA, sans quoi je les invite à démissionner aussi. Je remercie également l’Interfac et l’Inter-Inter, ces tables de concertation interassociatives et intersyndicales, pour tout ce travail de réflexion et d’action pour l’amélioration des conditions d’études et de travail pour l’ensemble de la communauté universitaire.
Solidairement,
Stéphanie Thibodeau
Administratrice sortante 2018-2021
(elle/they/them)».
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