Nombreux et nombreuses sont les spécialistes de la santé qui choisissent d’écouter de la musique en opérant. Un lien entre la pratique chirurgicale et la passion pour la musique pourrait expliquer ce choix pour quelques médecins, qui est aussi populaire auprès des dentistes.
Une étude publiée dans le International Journal of the Care of the Injured, un périodique médical spécialisé en médecine d’urgence, révèle que 63% des participants et des participantes écoutent de la musique sur une base régulière, en salle d’opération. Selon cette recherche, 20% des répondant(e)s trouvent la musique en salle opératoire distrayante, alors qu’environ 79% des participant(e)s affirment que celle-ci les rend plus calmes et efficaces.
Pour le neurochirurgien et professeur de neurochirurgie à l’Université de Sherbrooke, Dr Newton Godoy-Pimenta, la musique rend l’atmosphère de travail plus agréable et permet un climat moins anxiogène, sans toutefois être essentielle à sa pratique. Amateur de musique depuis toujours, Dr Godoy-Pimenta utilisait celle-ci pour étudier pendant son parcours scolaire et affirme qu’elle fait encore partie de son quotidien aujourd’hui. « Je pourrais le faire sans […], mais si je peux mettre de la musique, ça me met dans mon ambiance, [dans] mon espace naturel », explique-t-il.
C’est également le cas pour la dentiste Élisabeth Dupont, qui rapporte que les moments de silence total dans la clinique où elle exerce se font rares. Elle explique que la musique rend ses clients et ses clientes plus confortables, tout en procurant un bruit de fond, ce qui fait paraître les traitements moins longs, tant pour la dentiste que pour son ou sa patient(e). « Ils entendent un peu moins nos instruments, qui ont tendance à être stressants, dit-elle, personne n’aime aller chez le dentiste […] et ça porte leur attention [vers] autre chose. C’est calmant », ajoute-t-elle.
C’est la pandémie de la COVID-19 qui a poussé Dre Dupont à introduire davantage la musique dans son travail, puisque les mauvaises nouvelles liées à la crise sanitaire se faisaient entendre quotidiennement à la télévision. Elle mentionne également que sa clientèle semble plus stressée depuis la pandémie. « [Les gens] ont tellement de pression sur les épaules, côté professionnel, côté santé, etc. Donc peut-être que [la musique] les relaxe un peu plus », espère-t-elle. Elle souligne que certaines personnes ont besoin de cette distraction, même que certain(e)s se présentent avec leur propre musique.
La musique qui panse les blessures
Pour certaines personnes malades, la musique entendue en salle d’opération, avant ou après la chirurgie, pourrait avoir des bénéfices. Dans son livre Le cerveau et la musique, l’ancien journaliste scientifique et médical Michel Rochon explique, en s’appuyant sur de nombreuses recherches, comment la musique stimule certaines régions du cerveau liées au plaisir, entre autres. « Les chercheurs ont […] remarqué que des régions bien spécifiques du cerveau étaient sollicitées, dont l’amygdale et les noyaux accumbens, associés à la motivation et à la récompense, à l’éveil et aux émotions », peut-on lire dans son oeuvre. Le style de musique peut servir à calmer le patient ou la patiente au début de l’opération ou suite à celle-ci, mais doit être sélectionné de manière à permettre aux médecins d’être concentré(e)s, mentionne-t-il. C’est pour cette raison que les choix de musique et la hauteur du volume diffèrent selon les établissements et que certain(e)s spécialistes préfèrent le travail en silence.
Une recherche, publiée dans le Journal of Clinical Nursing, indique une augmentation significative des niveaux d’ocytocine, une hormone antistress, ainsi que du degré de relaxation ressenti par les personnes exposées à la musique, au lendemain d’une opération à coeur ouvert. Au moment de l’opération, le neurochirurgien Dr Godoy-Pimenta préfère toutefois attendre que le patient ou la patiente soit endormi(e), avant de mettre la musique. « Pendant la période où ils sont encore éveillés […] je ne mets pas de musique, exprime-t-il, [car] c’est peut-être un patient qui n’a pas l’habitude de la musique, qui veut plus de calme ou du silence, ou peut-être que ma musique ne va pas lui plaire », précise-t-il.
Malgré ses préférences musicales, le médecin n’impose pas un style de musique au bloc opératoire, par respect pour ses collègues de travail présent(e)s. Il utilise généralement la radio satellite, ainsi que son téléphone pour faire jouer des chansons populaires et variées, qui peuvent plaire à tout le monde et qui laissent place à la concentration des personnes qui opèrent. Selon l’étude publiée dans le International Journal of the Care of the Injured, la musique classique serait préférée par 58% des répondant(e)s, suivie de la musique folklorique (38%), du rock (16%) et du jazz (13%).
La mélomanie : une passion populaire chez les médecins
Plusieurs spécialistes de la santé ont un penchant pour la musique, ce qui explique le choix pour certain(e)s de l’inclure au travail. Dans son temps libre, Dr Godoy-Pimenta pratique la guitare, la batterie et le chant. Il évoque qu’à l’Hôpital de Chicoutimi, où il exerçait auparavant, son groupe de musique, composé de quatorze médecins de spécialités diverses, se réunissait pour jouer et organisait des concerts, une fois par année. Comme la musique occupe une place importante dans sa vie, le neurochirurgien choisit d’en écouter également lorsqu’il opère. « C’est quelque chose que je pratique dans ma vie quotidienne. Par exemple, dans la voiture, j’ai toujours de la musique avec moi. Quand je travaille à l’extérieur […] je mets de la musique aussi. Donc, pourquoi pas [en écouter] au bloc opératoire », exprime-t-il.
La tendance des médecins spécialistes en chirurgie à être passionné(e)s de musique en est une bien connue de Michel Rochon. « Les médecins me disent que, quand on opère un patient, il y a une minutie dans le détail des gestes que l’on retrouve dans l’exécution de la musique », explique l’auteur. « S’ils ne sont pas musiciens, les médecins sont souvent très mélomanes », poursuit-il. Selon l’ancien journaliste scientifique, ce phénomène est souvent documenté et met en évidence la logique derrière le souhait de plusieurs médecins d’inclure la musique en salle d’opération.
Un article publié dans le Journal Européen de Chirurgie Cardio-Thoracique soulève d’ailleurs que la pratique musicale partage plusieurs similarités avec la chirurgie, dont l’utilisation de nombreuses compétences cognitives. L’auteur de celui-ci, Pascal R. Vouhé, spécule même que de jouer un instrument de musique pourrait contribuer à améliorer les performances chirurgicales, en sollicitant certaines régions du cerveau utiles aux deux activités.
Mention photo Éliane Gosselin
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