Loi sur la « sécurité globale » : le pouvoir passe en force

La loi sur la « sécurité globale », visant à renforcer l’appareil de sécurité d’État en France, a finalement été adoptée par l’Assemblée nationale le mardi 24 novembre. Si plusieurs aspects de cette loi ont suscité la polémique, comme l’accès accru des autorités à la vidéosurveillance par les caméras de sécurité ou les drones, c’est bien autour de l’article 24 de cette loi que l’attention s’est cristallisée. 

L’article 24 rend passible d’un an de prison et de 45 000 euros (70 000 dollars canadiens) d’amende la diffusion d’une image « du visage ou tout autre élément d’identification » d’un ou d’une membre des forces de l’ordre en intervention lorsque celle-ci a pour « but manifeste de porter atteinte à son intégrité physique ou psychique ». 

Cet article est en fait un ajout du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à la proposition de loi ; ajout rédigé dans le but initial de faire flouter les visages des forces de l’ordre dans le cadre de leurs opérations. Le ministre tient ainsi une promesse faite aux syndicats de police qui déplorent le harcèlement et les agressions dont ses membres sont victimes – celles-ci n’étant pas chiffrées.

« Larticle 24 vise tout simplement à rendre invisibles les violences policières », confie la journaliste chez MediaPart Pascale Pascariello, ajoutant qu’ « il ne concerne pas seulement les journalistes, mais aussi les citoyens qui ont le droit de filmer la police, que ce soit dans les quartiers populaires ou lors de manifestations. »

Invitée à l’émission À l’air libre le 16 novembre 2020, la journaliste avait par ailleurs dénoncé, comme beaucoup de sceptiques, le flou entourant la notion de « but manifeste de porter atteinte à l’intégrité », qui pourrait laisser place à une gestion arbitraire des forces policières sur le terrain. 

Claire Hédon, la Défenseure des droits, qui a pour mission d’assurer un accès égal aux droits pour toutes et tous, a demandé le retrait de l’article qu’elle juge « inacceptable » et qualifie d’atteinte à la liberté de la presse. « Je pense que la seule solution, c’est le retrait [de l’article], parce qu’il est inutile », a-t-elle déclaré sur la chaîne de télévision BFMTV, rappelant qu’il existe déjà une législation protégeant les corps policiers dans le cas de diffusions d’images malveillantes.

La presse accuse le coup

La contestation s’est vite invitée dans les rues de plusieurs grandes villes de France. Le 17 novembre, une manifestation à Paris a dégénéré en violents affrontements. Ce soir-là, avant même l’adoption de l’article, les forces de police ont violenté et menacé d’interpellation des journalistes, prétextant l’application du nouveau schéma national du maintien de l’ordre (SNMO), publié par le ministère de l’Intérieur en septembre. 

Ce document stipule que les journalistes doivent quitter les manifestations lorsqu’ils en sont sommé(e)s par les forces de l’ordre ; c’est du jamais vu. Les journalistes Hannah Nelson (Taranis News) et Tangi Kermarrec (France 3), sur place lors de la manifestation, ont été arrêtés puis placés en garde à vue en marge du rassemblement. Le lendemain, Gérald Darmanin déclarait que les journalistes souhaitant couvrir les manifestations devaient dorénavant « se rapprocher des autorités », c’est-à-dire obtenir une approbation de leur présence par la préfecture. 

Cette déclaration a fait bondir les syndicats, les entreprises de presse et les journalistes qui ont immédiatement exprimé leur mécontentement. « C’est une absurdité. C’est le droit de la presse qui est piétiné allègrement, s’indigne Pascale Pascariello. Nous devons continuer à faire notre travail. C’est ce qu’on a décidé unanimement et sans se plier à ces injonctions absolument autoritaires. » Plus de 80 rédactions ont fait front commun et signé, le 20 novembre, une tribune dans le journal Le Monde, dans laquelle les médias d’information indiquent leur refus d’accréditer leurs journalistes pour couvrir les manifestations. 

L’État montre les muscles 

L’adoption de la loi « sécurité globale » intervient dans un contexte national particulier : « On a une vraie dynamique sécuritaire depuis les attentats de 2015 […] et le projet de loi sécurité globale rentre un peu là-dedans », indique le représentant de la Confédération générale du travail (CGT), Ludovic Rioux. De nombreuses mesures de sécurité qui devaient être temporaires et exceptionnelles sous l’état d’urgence ont été inscrites dans le droit commun au moment de sa levée, conférant ainsi aux forces de l’ordre des pouvoirs accrus de façon durable. 

En parallèle, la politique économique libérale du gouvernement Macron a déclenché une multiplication des mouvements sociaux dans les dernières années : mobilisation contre la loi Travail, la réforme des retraites et la sélection dans les universités pour ne nommer que ceux-là – des mouvements qui ont tous été violemment réprimés. « Le mouvement des Gilets jaunes, ça a été l’apogée avec des violences policières qui dépassaient tout ce qu’on avait vu jusqu’à maintenant, en termes d’éborgnement, d’amputation, etc. », poursuit M. Rioux.

 Le photographe Michael Bunel, qui couvre différents mouvements sociaux depuis 12 ans, a observé l’arrivée récente d’agents de la Brigade anti-criminalité (BAC) en manifestations. « Ils ont des lanceurs de balles de défense, ils sont cagoulés et matraquent les manifestants », commente-t-il, déplorant une militarisation globale de la police. 

Les agressions dont ont été victimes des personnes migrantes, des citoyens et des citoyennes et des journalistes dans la nuit du 23 novembre ainsi que le passage à tabac d’un producteur de musique Noir dans un studio d’enregistrement pour non-port du masque deux jours plus tôt ont scandalisé l’opinion publique. La vague d’indignation s’est cette fois propagée largement au-delà des frontières françaises, où l’existence des violences policières continue paradoxalement d’être niée par le gouvernement et la majorité de la classe politique.

Les attaques récurrentes contre les libertés au nom de la sécurité et le déferlement de violences policières inquiètent au plus haut lieu les organismes nationaux et internationaux de défense des droits humains comme Amnistie internationale ou l’ONU. Mais pour certains et certaines, ce virage autoritaire est surtout symptomatique d’une angoisse grandissante du pouvoir exécutif qui voit sa légitimité pâlir et l’agacement d’une population capable de révolte croître. « Je pense qu’ils ont peur là-haut. Les gens n’en peuvent plus et ça ne m’étonne pas qu’il se passe quelque chose », lâche Michael Bunel. 

Les Marches pour les libertés du 28 novembre qui ont rassemblé près d’un demi-million de personnes dans 70 villes de France ont démontré qu’il existe bien un refus « global » de cette loi. Celui-ci dépasse largement l’ordre corporatif des journalistes et place l’autorité macronienne, défenseur autoproclamé de la démocratie en France et à l’international, face ses contradictions.

Mention photo Michael Bunel

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