Connue principalement pour ses documentaires sur l’Afrique du Sud, la journaliste et écrivaine Lucie Pagé a quitté le Québec pour vivre une histoire d’amour et de passion dans un pays marqué par l’apartheid et par l’apport de Nelson Mandela. Portrait de celle qui a dévoué sa vie au journalisme.
« Quand j’avais sept ans, je me souviens avoir dit à ma mère “moi, quand je vais être grande, je vais écrire dans les journaux” », se remémore Lucie Pagé. L’écrivaine raconte que ses années d’études en journalisme à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), d’où elle a obtenu son diplôme en 1985, ont été une véritable bénédiction. Elle précise que le corps professoral n’était composé que « de bons journalistes qui avaient une approche très humaine et pratique ».
Le père de Mme Pagé, qui était navigateur aérien, racontait régulièrement ses périples autour du monde à sa fille, fascinée. « Mon métier de rêve, qui était d’être correspondante à l’étranger, [était un mélange] de ma fascination pour les autres pays et de ma passion pour le journalisme », indique-t-elle.
Une amitié avec Mandela
En 1990, Lucie Pagé part en Afrique du Sud avec l’équipe de Nord-Sud, une série hebdomadaire diffusée à Télé-Québec s’intéressant aux actualités internationales, pour y couvrir la libération de Nelson Mandela. Dans le cadre d’un des nombreux documentaires qu’elle y réalise, la journaliste fait une entrevue avec Jay Naidoo, alors secrétaire général du Congrès des syndicats sud-africains. « J’ai interviewé un homme qui est devenu mon mari et le père de mes enfants », confie l’écrivaine en souriant.
À cette époque, Jay Naidoo est le bras droit de l’ancien président sud-africain Nelson Mandela. C’est d’ailleurs lui qui est allé le chercher en prison, le jour de sa libération. « [Nelson Mandela] était un bon ami, c’était quelqu’un qui était très près de la famille, affirme Mme Pagé. Il ne voyait pas l’enveloppe des gens; il voyait leur âme », ajoute-t-elle.
La Québécoise raconte que le plus beau moment de sa carrière a définitivement été le 10 mai 1994, lorsque Mandela a prêté serment après son élection. « Il y avait à peu près tous les leaders de la planète qui étaient là », raconte la journaliste, qui y était aussi. Peu avant le discours de Mandela, elle avait fait un reportage en direct où elle annonçait que « jamais plus il n’y aurait un système qui allait opprimer les gens comme ça », souligne-t-elle.
Quelques minutes plus tard, Nelson Mandela avait répété la même phrase lors de son discours, pratiquement mot à mot. « J’ai eu des frissons, c’était le plus grand moment journalistique de mes 40 ans de carrière », dévoile-t-elle avec émotion.
Partir à l’autre bout du monde
La Québécoise fait le grand saut et s’installe officiellement en Afrique du Sud avec Jay Naidoo quelques mois après son arrivée au pays au début des années 1990. « Il me fallait les deux conditions : la passion de ma vie et l’amour de ma vie », raconte-t-elle pour justifier son départ.
Son fils d’une union antérieure, Léandre Pagé-Boisvert, alors âgé de quatre ans, vivait en garde partagée entre le Québec et Johannesbourg. « C’était difficile au départ, confie-t-il, puis j’ai tranquillement commencé à accepter le fait que je n’allais pas avoir mes deux parents ensemble sur le même continent. »
Parmi les sept ouvrages qu’elle a écrit, le livre Mon Afrique aborde largement la douleur ressentie par l’auteure lorsqu’elle a dû laisser son enfant en Amérique du Nord. Avec le recul, ce dernier affirme tout de même qu’il se sent choyé d’avoir deux familles vivant sur des continents différents.
Passion, persévérance et courage
« Ma mère est quelqu’un de très passionnée, affirme M. Pagé-Boisvert. C’est le premier mot qui vient à la bouche de n’importe qui qui la connait. » Il ajoute qu’elle est une femme courageuse et qu’elle n’abandonne jamais ses projets, même dans les moments les plus difficiles. « Il n’y a pas de compromis avec ma mère et c’est quelque chose que j’ai toujours trouvé inspirant », dénote-t-il.
Maintenant âgée de 58 ans, Lucie Pagé n’arrive pas à identifier un moment dans sa carrière où elle aurait eu envie d’abandonner. « Les pires moments sont là comme des leçons de vie », philosophe-t-elle.
Le parcours de la journaliste ne s’est pourtant pas déroulé sans embûches. Son travail de pigiste sans poste officiel de correspondante à l’étranger lui occasionnait une certaine exclusion, malgré les nombreux reportages qu’elle rédigeait. « Ça nous coûtait de l’argent, travailler », révèle la journaliste. À titre d’exemple, elle mentionne un reportage au sujet des chants de libération sud-africains sur lequel elle a travaillé pendant huit mois et qui ne lui a rapporté que 300$.
Elle témoigne aussi des conditions parfois dangereuses auxquelles elle a dû s’exposer en période de guerre dans son pays d’adoption. « Des fois, il faut que tu évalues les risques, mais je pense être allée jusqu’à la limite, dit-elle, en précisant qu’elle devait porter des vestes pare-balles à l’occasion. Ce n’est pas tous les jours que tu as des AK-47 dans le visage ou une bombe en dessous de ta voiture », ajoute-t-elle.
Elle affirme toutefois qu’elle n’a jamais voulu fuir, car pour elle, « ce n’était pas un travail, mais une passion ».
Cette même passion a amenée la Québécoise à diriger le département de radio-télé de l’Institut pour l’avancement du journalisme à Johannesbourg et à devenir responsable de la formation médiatique de certains politiciens sud-africains, dont Nelson Mandela.
Si Mme Pagé aime tant l’Afrique du Sud, c’est en grande partie grâce aux gens qui y habitent. « On dit que Nelson Mandela avait un charisme, mais le peuple entier a un charisme », témoigne-t-elle. La population est caractérisée par une philosophie d’entraide et de coopération, selon elle. « En Afrique du Sud, il y a une de solidarité presque tangible qui a permis à ce pays d’accomplir ce qu’on appelle un miracle politique ou une révolution négociée sans les armes. »
En 30 ans de carrière, Lucie Pagé a signé plus de mille reportages, documentaires et articles sur son pays d’accueil. « Je n’ai jamais abandonné le Québec, mais j’ai certainement adopté l’Afrique du Sud. »
Cet article devait paraître dans l’édition papier du printemps 2020 qui a été annulée en raison de la COVID-19.
Crédit photo Lucie Pagé
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