Les médias face à la crise

Le Québec, comme le reste du monde, traverse depuis plusieurs semaines une crise sanitaire sans précédent. Les employé(e)s des services essentiels comme les épiceries sont aux premières loges, mais qu’en est-il des journalistes qui continuent de transmettre les informations chaque jour ?

Le photojournaliste d’expérience Ivanoh Demers et le journaliste et professeur à l’Université de Montréal (UdeM) Alain Saulnier s’accordent pour dire que les médias sont un service essentiel. « Nous, les médias, on a le droit de montrer ce qu’il se passe. Quand je montre un cadavre, je ne le fais pas par plaisir. On est là pour informer, quand ça va bien et quand ça va mal », explique le photographe. 

Selon lui, l’un des plus gros obstacles auxquels les médias se heurtent en ce moment est l’accès visuel aux lieux publics, tels que les hôpitaux. Le public doit voir la réalité, croit-il, et en tant que photojournaliste, cette réalité implique une photo prise de l’intérieur. 

Ce dernier est convaincu que les photos ont un impact sur les gens qui, après les avoir vues, vont mieux se protéger et prendre des mesures sanitaires. « On doit documenter tout ce qui se passe », ajoute M. Demers, qui a notamment travaillé à La Presse et à Radio-Canada. Il précise que cela doit être fait dans le respect de la personne, du personnel soignant et des consignes. 

Alain Saulnier abonde dans ce sens. Selon lui, des ententes doivent être trouvées afin que des lieux comme les hôpitaux soient accessibles aux journalistes. En ce moment plus que n’importe quand les gens ont besoin de voir ce qui se passe à l’intérieur. Cela dit, lorsque des journalistes filment dans un hôpital, « il y a une certaine forme de décorum à avoir. On doit respecter la vie privée des gens », précise-t-il. 

Une situation à laquelle il faut s’adapter

Le journaliste au Journal de Montréal et président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Michaël Nguyen, considère que l’un des plus gros problèmes pour exercer son travail dans la situation actuelle est le manque d’expertise. Habitué à couvrir les actualités judiciaires, il est aujourd’hui, comme tous les journalistes, « sur le beat COVID-19 ».

« La difficulté est de trouver des sujets hors de mon champ d’expertise, donc là où j’ai moins de sources et de contacts, explique-t-il. Mais un bon journaliste sait s’adapter ».

Alain Saulnier, qui donne le cours d’Analyse de la pratique journalistique à l’UdeM, explique que l’un des défauts dans la couverture de la crise actuelle est le manque de journalistes spécialisé.es. Lors des conférences de presse quotidiennes, les journalistes font un très bon travail, reconnaît-t-il, mais il soutient « qu’on aurait dû ajouter des journalistes qui connaissent les dossiers médicaux, qui connaissent la science et qui ont une expertise dans ce domaine ». Selon lui, cela aurait permis d’éviter que les questions ne transforment la conférence en joute politique.

Ivanoh Demers croit lui aussi que les journalistes doivent s’adapter. Pour le photojournaliste habitué de couvrir des situations extrêmes (il a notamment couvert le séisme en Haïti en 2010), le problème réside ici dans le fait qu’il travaille sur un sujet « invisible et inconnu », et, donc, difficile à photographier. 

Normalement, le travail pour couvrir une crise est plus prévisible, explique-t-il. « Au début, c’était un peu plus difficile, avoue M. Demers. Aujourd’hui, on est plus renseigné, on s’adapte pour tout couvrir. »

Il mentionne qu’aujourd’hui, il s’agit d’une couverture locale. « On [les journalistes] fait partie de la crise. »

De longues journées

Toujours est-il que pour les journalistes, les journées sont longues. Michaël Nguyen essaie de trouver des sujets le matin, et son affectateur lui en donne au cours de la journée. « Il y a aussi beaucoup de vérifications à faire. Au final, j’essaye de livrer deux ou trois textes par jour, dit-il. Pour le moment, ça se passe bien. » 

De son côté, Ivanoh Demers doit trouver la nouvelle, puis il se prépare, voire anticipe. « Je commence ma journée très tôt, je patrouille la ville et je cherche des images. »

Pour les journalistes comme pour tout le monde, la protection est importante. Des trousses de protection sont fournies et des consignes de sécurité sont établies.

Pour Alain Saulnier, les médias font un bon travail, bien qu’ils soient « bousculés ». Ils sont durement touchés par cette crise « historique ». Selon lui, chaque crise est l’occasion pour les médias de démontrer leur utilité. « Les journalistes doivent enquêter davantage, être curieux davantage et douter davantage. » Il précise que si les médias travaillent dans ce sens, ils prouveront qu’ils apportent une valeur ajoutée et démontreront leur utilité.

Photo Florian Cruzille | Montréal Campus

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