De Dorsey Swann à Afro Drag

La culture drag fait partie de l’histoire américaine de la communauté noire et permet toujours aux personnes racisées d’identités multiples de s’exprimer librement.        

« J’avais 16 ans, j’étais dans un club et j’ai vu des gens faire du voguing. » C’était à Toronto, et c’est ainsi que Twysted Miyake-Mugler, danseur, vogueur agréé et cofondateur du Kiki Ballroom Alliance, se remémore sa première expérience avec la culture des ballrooms

Le Kiki Ballroom Alliance rassemble des personnes racisées qui s’intéressent aux différents aspects de la culture des ballrooms et des drag balls de Toronto. Tels qu’il les décrit, les drag balls ont dérivé des concours de beauté populaires à New York dans les années 60 qui incluaient majoritairement des participantes blanches. C’est en réponse à un résultat qu’elle jugeait biaisé et raciste que la drag queen afro-américaine Crystal LaBeija a créé son propre drag ball. « C’était dans les années 70 et c’était presque exclusivement pour les femmes transsexuelles noires », explique le vogueur. 

Depuis leurs tous débuts, les bals et l’art drag font partie intégrante de la vie de plusieurs artistes noir(e)s issu(e)s de la communauté LGBTQ+. L’auteur et professeur de journalisme de l’Université de Californie du Sud Channing Gerard Joseph relatait d’ailleurs dans un article publié cette année dans la revue américaine The Nation, sa recherche sur le sujet. Étendue sur une dizaine d’années, son étude lui a permis de retracer William Dorsey Swann, un esclave et activiste noir américain, comme la première personne à s’identifier en tant que drag queen, au 19e siècle, dans l’état du Maryland.

Sa recherche, faite à partir de plusieurs articles de journaux de l’époque traitant de M. Dorsey Swann, démontrait notamment qu’en 1896, après avoir été condamné à une peine de 10 mois de prison pour une fausse accusation, il avait demandé le pardon présidentiel. On l’avait alors accusé de gérer une maison close alors qu’il organisait un drag ball

Aux intersections des cultures 

Les cultures drag et du ballroom sont intimement liées par leurs qualités performatives, mais diffèrent par leur essence. Kiara, artiste drag, renchérit en expliquant que « dans le ballroom, on est moins dans les spectacles et les glitter du drag. Par exemple, dans la rue, il faudrait que l’on pense que tu es une fille ». M. Miyake Mugler précise en ajoutant que lors des ballrooms « il faut pouvoir se fondre dans la masse ».

Les rassemblements des ballrooms restent plus diversifiés que l’art drag grâce à la participation et à la représentation de plus de personnes racisées, convient l’artiste drag originaire de Québec Kiara. Depuis quelques années, elle pratique justement le drag plus traditionnel du Village gai de Montréal. « Je suis aussi impliquée dans la scène du ballroom, où il y a majoritairement des personnes racisées. Il y a des personnes qui se sentent un peu moins représentées dans le Village. » C’est aussi, selon elle, là où l’on valorise davantage la culture noire. 

House : Terme émanant de la culture du ballroom, retracé au premier drag ball organisé par Pepper LaBeija. Il réfère à un groupe structuré comme une famille qui permettait aux participants et participantes majoritairement membres de la communauté LGBTQ+ d’obtenir du soutien et de retrouver une structure familiale en dehors de leurs familles traditionnelles. Les créateurs et les créatrices de chaque maison sont les drag mother et drag father, les membres étant leurs enfants. 

 

La House of LaBeija est représentée par Pepper LaBeija dans le documentaire de 1991, Paris Is Burning de Jennie Livingston. En tournage, dans les années 80, Livingston a suivi la vie de neuf artistes drag participant fréquemment aux drag balls de New York. Les artistes noir(e)s qu’elle a abordé(e)s reliaient leur amour pour les drag balls à leur désir de vedettariat. Un jeune homme le résumait en disant qu’« un bal [était la chose la] plus proche de la gloire, de la fortune, de la célébrité et des projecteurs » pour ses ami(e)s et lui. 

Les évènements consistaient en des compétitions d’artistes drag dans différentes catégories. La formule demandait aux participants et participantes de défiler dans leurs costumes devant des juges dans le but de recevoir des prix. Les catégories Butch Queen Realness et Femme Queen Realness, respectivement jugées sur la capacité à ressembler à un homme hétérosexuel et à une femme, étaient très populaires. 

Les différentes scènes et façons de pratiquer l’art drag rendent la pratique de plus en plus plurielle. L’artiste Barbada de Barbades, reconnue à Montréal et à travers la province, le rappelle : « Il y a beaucoup de diversité dans le drag, il y a beaucoup de styles différents et de types de performances de nos jours ».

Le drag, vu par ses interprètes

Fondé en 2019, le projet Afro Drag regroupe d’ailleurs des artistes afro-descendant(e)s pour des représentations de drag à interprétation libre. Loin est leur attachement à l’idée initiale du drag qui référait à des hommes qui se « déguisaient » en femmes. Pour BiG SiSSY, la créatrice de l’initiative Afro Drag, ces définitions sont dépassées. Selon elle, « ce ne sont plus que les hommes qui font du drag. Une femme cisgenre peut faire un drag de femme ». 

Avec Afro Drag, c’est aussi l’approche qu’elle souhaite garder en tête, soit la diversité des styles, mais également des artistes : « Tous les types de performances sont acceptés, pourvu qu’il y ait une certaine notion de fluidité de genres. L’important est que ce soit du drag pour la personne qui interprète. ».

Dans cet esprit d’inclusion, les représentations d’Afro Drag incluent différents types d’arts, notamment le slam, la poésie, et la danse, tout comme des performances plus traditionnelles de drag. À travers ces différentes interprétations, leur dernier spectacle, qui était présentée le 22 février dernier au Centre Phi, avait pour but de tisser « une riche tapisserie de l’histoire queer noire ».

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