Objectif : parité toponymique

Les noms attribués aux patrimoines de la Ville de Montréal sont distinctifs et permettent à ses habitants, à ses habitantes et aux touristes de s’y repérer. Pourtant, ces lieux portent, pour la vaste majorité, des noms d’hommes caucasiens, et ne reflètent pas la diversité de la population. 

Le boulevard René-Lévesque, la station Jean-Talon, le parc Lafontaine : vestiges d’une histoire, les noms donnés aux différents lieux montréalais ne font plus l’unanimité aujourd’hui. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a annoncé son intention de nommer la prochaine station du Réseau express métropolitain dans Griffintown. Celle-ci pourrait porter le nom de l’ancien premier ministre québécois Bernard Landry, au grand dam de certaines personnes qui estiment que ce nom ne reflète pas l’héritage irlandais du quartier. 

La porte-parole de la Commission de la toponymie du Québec, Chantal Bouchard, explique que l’autorité en matière de dénomination de lieux géographiques est partagée. En ce qui a trait aux entités géographiques naturelles, comme les lacs, les rivières et les montagnes, et les lieux du domaine de l’État, comme les autoroutes, les barrages ou les ponts, c’est la Commission de la toponymie du Québec qui a l’entière autorité. 

Après avoir reçu plusieurs suggestions et soumissions de noms possibles pour les différents lieux de la part d’experts et du public, la Commission se penche sur les options et en vient à une décision. 

Les villes ont quant à elles la compétence de dénomination pour les rues, parcs et édifices municipaux se trouvant sur leur territoire. Le processus par lequel doit passer un nouveau nom peut varier d’une municipalité à l’autre, mais reste toujours sensiblement le même. 

De son côté, la Ville de Montréal a un Comité de toponymie qui avise le conseil municipal dans les dossiers relatifs à la nominations de lieux publics. Les citoyens et les citoyennes peuvent aussi soumettre des demandes d’attributions de noms à un lieu public, par l’entremise de la Division du patrimoine de la Ville. Au Québec, il faut toutefois attendre qu’une personne soit décédée depuis plus d’un an pour pouvoir donner son nom à un lieu. 

La directrice du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal et professeure d’histoire à l’Université du Québec à Montréal, Johanne Burgess, indique que le rôle de la toponymie est de distinguer les lieux les uns des autres. « Une fois qu’un nom a été donné, c’est une adresse, tout le monde la connait. C’est pourquoi il y a beaucoup d’hésitation et de résistance à changer des noms d’endroits », affirme-t-elle.

Dénominations masculines 

Plusieurs noms de rues à Montréal datent de l’époque où la ville s’appelait Ville-Marie, alors que les femmes avaient très peu de pouvoir politique, économique ou social. « Lorsqu’on voulait nommer les rues, […] on avait tendance à honorer des hommes, affirme Mme Burgess, à l’exception de la Vierge Marie, et toutes les saintes, qui se retrouvent un peu partout. »  

En flânant dans les rues de la métropole, il est possible de constater en un simple coup d’oeil que la proportion d’endroits nommés d’après des hommes est nettement supérieure à ceux nommés d’après des femmes. « Les noms de rues reflètent une réalité historique de l’exercice du pouvoir », résume la directrice. 

Pour essayer de contrer ce phénomène, la Ville de Montréal a récemment mis sur pied une initiative toponymique pour favoriser l’ajout de noms de femmes au patrimoine municipal. 

Toponym’Elles se veut une banque de noms rappelant la contribution des femmes dans l’histoire du Québec. « Au sein des villes et de la Commission, il y a eu une prise de conscience du manque de représentation de femmes », affirme Johanne Burgess, qui constate depuis quelques années une réelle volonté de ces organismes de créer une toponymie beaucoup plus inclusive. 

Outre l’apport des femmes, la professeure Burgess précise aussi que les différentes communautés ethnoculturelles et les peuples autochtones sont sous-représentés dans la toponymie québécoise. Les chiffres fournis par la Commission de la toponymie démontrent tout de même une augmentation. Du 1er avril 2014 au 31 mars 2019, la Commission a officialisé 1162 noms de lieux d’origine autochtone sur un total de 3 788 toponymes, soit 30,7%. 

Depuis 2011, la Commission remet un prix de mérite à la personne ou l’organisme qui contribue le plus au rayonnement de la toponymie au Québec. Cette année, c’est Matane, dans le Bas-Saint-Laurent, qui est la récipiendaire, grâce à ses efforts soutenus pour inclure les femmes qui ont contribué à faire d’elle la ville qu’elle est aujourd’hui. 

« Ultimement, établir une toponymie représentative est un travail de longue haleine », explique Chantal Bouchard. Il y a peu de nouveaux endroits à nommer, surtout en milieu urbain, donc les changements sont plus difficile à percevoir. La volonté des institutions de renverser la vapeur est tout de même bien réelle et la Commission espère que « tous ont le souci de créer une toponymie diversifiée ».

Photo FLORIAN CRUZILLE MONTRÉAL CAMPUS

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