À contre-courant d’un contexte global qui préconise les critères de beauté occidentaux, l’initiative d’un retour aux cheveux naturels apparaît chez plusieurs femmes noires et métissées. C’est ce retour hautement symbolique à l’acceptation de soi qu’ont entrepris trois étudiantes de l’UQAM en cessant de se lisser les cheveux et d’en camoufler la texture.
C’est en 2014 que Victoria Nkou, secrétaire générale de l’Association des étudiants-es africains-es de l’UQAM (ASEAUQAM), a pris la décision de revendiquer son identité en arrêtant d’utiliser des produits défrisants. Une décision qui, selon elle, lui est venue instinctivement et représente sa philosophie. « Je me considère comme afro-optimiste, c’est-à-dire que je crois en tout le potentiel de l’Afrique, et maintenant ça se traduit aussi dans mes cheveux », lance-t-elle.
La jeune femme originaire du Gabon rejette ainsi la sous-représentativité et la manière erronée dont la communauté noire est présentée dans la société occidentale. « On n’est pas stoppées par ce que la société ou les médias disent et on a le pouvoir, surtout en tant que femme noire, de raconter et d’apprécier à nouveau notre histoire. Pour moi, le retour à ma texture naturelle, c’est dire qui je suis aux autres », avance-t-elle.
Son retour au naturel a enclenché un processus d’introspection durant lequel elle s’est penchée sur les raisons intrinsèques pour lesquelles les femmes noires et métissées se plient aux critères de beauté occidentaux. Historiquement, avec l’esclavage et la colonisation, les peuples africains ont dû ressembler aux maîtres et aux maîtresses, les imiter, se fier à leurs critères de beauté, et « en revenant à notre texture naturelle, c’est un peu comme briser ce cycle », affirme Victoria Nkou.
Elle confie d’ailleurs que la revendication de sa coiffure n’est pas toujours facile. « Il n’y a pas de commentaires désobligeants, mais on sent le regard des autres dans les salles de classe sur les femmes qui ont une texture kinky, c’est-à-dire plus crépue que bouclée », remarque-t-elle.
L’un de ses anciens employeurs a même déjà par le passé exigé qu’elle attache ses cheveux au travail, « alors qu’on ne demanderait pas ça aux autres employées blanches. Je suis noire et c’est ça mes cheveux. Tu sens qu’il y a un standard qu’il faut respecter », déplore-t-elle. Malgré tout, elle décrit l’effet d’émancipation de son retour au naturel comme un « un puissant message sur son identité » qu’elle ne regrette pas.
Nouveaux cheveux, nouveau phénomène
On remarque la prolifération du mouvement nappy, une expression américaine désignant les cheveux crépus, à Montréal. Plusieurs salons se spécialisant dans la coiffure des cheveux naturels ont notamment vu leur clientèle augmenter. C’est le cas du Salon Inhairitance, situé dans le sud-ouest de l’île où le gérant, Rudy Cavalier, a lui-même constaté l’ampleur du mouvement.
« Les femmes acceptent leur beauté naturelle. C’est présent sur les réseaux sociaux et sur YouTube, qui ont permis à beaucoup de femmes de communiquer et d’en apprendre plus sur leurs cheveux, explique-t-il. On a une connaissance plus approfondie des textures et de plus en plus de gens revendiquent ainsi leur culture en créant même leurs propres produits. »
La vice-présidente en gestion de projet de l’ASEAUQAM, Tracy Paulotte, se remémore quant à elle son adolescence. « Je voulais des cheveux européens et je cachais mes cheveux avec des perruques. Jamais personne ne voyait mes véritables cheveux », se rappelle-t-elle.
Elle affirme que le message toxique reçu en tant que jeune fille noire québécoise, c’est que le cheveu naturel n’est pas beau. Selon elle, le manque de représentation et de diversité dans les médias envoie un message négatif qui renforce le stigma lié aux cheveux crépus.
« Quand tu es jeune, tu veux refléter ce que tu vois. Partout, on glorifie les cheveux longs et lisses ou bouclés comme étant un signe de féminité absolue. Ce n’est pas un bon message qu’on envoie aux femmes noires », soutient Tracy Paulotte.
Qui plus est, « cacher mes cheveux ainsi, c’était très coûteux, avance l’étudiante. Je dépensais chaque trois mois environ 500 $ pour changer quelque chose qui fait partie de moi ! »
La responsable des communications au sein de l’Association des étudiants d’origine caribéenne Sabine Castandet dit elle aussi avoir évolué dans une communauté antillaise où le prestige était « relié aux cheveux lisses et longs ».
Elle n’a cependant jamais été aussi heureuse d’avoir fait le « big chop », le terme anglais populaire sur YouTube désignant l’action de couper la partie lisse des cheveux, pour ne laisser que la repousse de cheveux naturels. Elle décrit cette décision comme « une histoire d’amour avec [elle]-même ». « J’adore toutes les phases de mon retour et sur le plan économique, c’est plus avantageux », lance-t-elle.
Elle ajoute à l’attention de toutes les femmes noires qui hésitent à faire le saut vers le naturel « de ne pas le faire si tu n’es pas prête, mais, tôt ou tard, tu seras prête. Le processus prend du temps, mais il n’y aura aucun regret. »
photo: LUDOVIC THÉBERGE MONTRÉAL CAMPUS
Les étudiantes Sabine Castandet et Victoria Nkou
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