Le mouvement zéro déchet a le vent en poupe, alors que la population citoyenne s’accroche aux derniers espoirs écologiques à sa portée. Effet de mode ou véritable solution à la crise environnementale ? La situation semble préoccuper plusieurs défenseurs et défenseuses de la cause écologique.
« La lutte au plastique est une thématique actuellement très tendance, car elle apparaît comme concrète et peut facilement être associée à la vie quotidienne », explique la coordonnatrice et agente de recherche à la Chaire de recherche UQAM sur la transition écologique Éliane Brisebois. Réduire, réutiliser, recycler : la simplicité du zéro déchet fonde la solution parfaite pour une population démoralisée par la gravité de la crise environnementale, selon Mme Brisebois. Le danger d’une telle popularité ? « Que le discours médiatique ne soit orienté que vers des éléments précis [de la crise environnementale] et que soit occultée la complexité des problèmes environnementaux, tous multidimensionnels et multifactoriels », avertit-elle.
Trouvant écho dans une multitude de blogues, chaînes YouTube et magazines, les bénéfices du zéro déchet sont honorés d’une riche couverture médiatique, qui tend peut-être à surestimer leur juste portée, fait savoir la chargée de cours au Centre universitaire de formation en environnement de l’Université Laval Valériane Champagne-Saint-Arnaud.
Le plan Drawdown, une compilation récente des plus importantes données et études scientifiques des dernières décennies publiée en 2017, élevait la lutte au plastique au 47e rang des 80 solutions écologiques les plus importantes. Réduit à une implication citoyenne encore éparse, l’impact environnemental du zéro déchet ne serait pas conséquent à sa valorisation médiatique. Éliane Brisebois craint même que le phénomène ne diverge l’attention politique et sociétale de thématiques plus alarmantes, comme des questions énergétiques et du transport.
« Il est plus facile de refuser une paille lorsqu’on sort au restaurant, que de revoir tout son mode de vie en se débarrassant de sa voiture », exemplifie-t-elle. Le principe va de même pour les gouvernements qui se dédouanent de leur inaction par l’adoption de demi-mesures, comme l’interdiction des sacs en plastique, en dépit de vouloir s’attaquer aux véritables sources polluantes, ajoute le directeur général du Front québécois pour une meilleure gestion des déchets, Karel Ménard.
« Comme toute autre implication individuelle, le zéro déchet a ses limites, sauf qu’il envoie un message clair au gouvernement et aux entreprises qui devront nécessairement y répondre », nuance-t-il. Il prévient cependant que le message doit être redressé et transmis d’une façon intelligente, c’est-à-dire par une pensée écologique plus globale que « la simple condamnation des sacs en plastique ».
Le poids des petits gestes
Chaque dimanche, Monica Navarro, l’aînée de trois sœurs d’une famille zéro déchet, publie une capsule éducative sur sa chaîne YouTube à vocation écologique. Cette semaine, brosses à dents en bambou et mouchoirs de tissu écoresponsable sont présentés sur la plateforme instructive de celle qui a réinventé son mode de vie il y a près de deux ans. « Si mon objectif premier est d’abord de donner des conseils et des astuces à ceux qui envisagent le virage zéro déchet, c’est aussi, de manière plus fondamentale, de conscientiser tout le monde à l’importance des petits gestes », précise-t-elle.
Le mantra écologique voulant que chaque petit geste compte n’est pourtant pas à l’abri d’une certaine glorification, fait savoir Valériane Champagne-Saint-Arnaud. Un tel raisonnement peut même avoir l’effet inverse sur l’individu, puisqu’en en adoptant cette devise, « il peut se sentir déculpabilisé et alors adopter d’autres mauvais comportements ».
Par exemple, rouler trente kilomètres de plus chaque semaine pour répondre à un mode de vie qui nécessite des épiceries et boutiques spécialisées viendrait annuler les bénéfices du mouvement zéro déchet. « Le danger du recyclage et de la réduction des déchets ménagers, c’est qu’ils nourrissent indirectement une illusion d’empreinte écologique négative », s’inquiète la membre de l’équipe scientifique du média en ligne Unpointcinq.
Selon elle, les solutions doivent être présentées en tenant compte, non pas de leur accessibilité, mais de leur réelle portée environnementale. Il ne s’agit donc pas de considérer le mouvement citoyen comme la panacée écologique, mais plutôt comme des portes d’entrée à une conscientisation plus générale des problèmes environnementaux.
Pour Monica Navarro et sa famille, plusieurs luttes conjointes au mouvement zéro déchet se sont superposées sur les fondations idéologiques de ce dernier : minimalisme, pesco-végétarisme et l’achat local. Ce n’est pas un souffle vert, mais une véritable rafale écologique qui a balayé les habitudes de vie de ce petit ménage de Saint-Lambert. « Il m’arrive de penser que je me suis peut-être trop attachée à la cause des déchets, mais avec du recul, je réalise que c’est surtout la pensée écologique derrière ce mode de vie à laquelle je me suis attachée », estime-t-elle.
photo: MONTRÉAL CAMPUS
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