L’apostasie, ce refus marqué d’adhérer aux valeurs de l’Église catholique, est un phénomène présent au Québec et se trouve à être la voie de sortie pour des baptisés désirant se dissocier de la religion chrétienne.
« Aujourd’hui, c’est mon anniversaire ». Le curé Alain Vaillancourt, tout sourire, indique qu’il a reçu l’appel de Dieu il y a de cela 35 ans, jour pour jour. La Basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde, où l’homme de foi travaille, se dresse au beau milieu du centre-ville de Montréal. Tous les jours, le brouhaha urbain se marie au son des cloches, ce qui en fait un environnement propice aux rencontres entre jeunes adultes et l’Église, se réjouit ce dernier.
Depuis la Révolution tranquille, l’Église catholique a subi un effondrement de ses pouvoirs, principalement en raison de la laïcité de l’État qui a marqué le paysage québécois des années 1970. Cependant, depuis cette époque, les baptêmes n’ont pas perdu en popularité, surtout ceux pratiqués peu après la naissance. « On considère que le salut n’est pas quelque chose d’automatique : ce n’est pas parce qu’on vient au monde qu’on ira au ciel. Dieu a fait de nous des êtres libres », soutient le curé.
Une fois qu’il a atteint l’âge adulte, le baptisé est libre de choisir s’il poursuit son chemin avec la foi ou non. L’Église insiste pour que les parents enseignent les valeurs catholiques à leurs enfants baptisés. « Ils ne sont pas toujours conscients de l’engagement que le baptême demande et n’entretiennent pas la foi de l’enfant », affirme le curé. Ce laisser-faire est, selon lui, problématique.
C’est également l’avis de Stéphanie St-Pierre, une étudiante montréalaise, qui a pris la décision de s’apostasier à l’âge de 21 ans. L’apostasie est la procédure canonique qui consiste à s’exclure de l’Église et à renier son appartenance à la religion catholique. Stéphanie s’est fait baptiser alors qu’elle était âgée de quelques semaines, essentiellement pour répondre aux attentes de sa grand-mère croyante.
« Aujourd’hui, je ne trouve pas que l’Église catholique correspond à mes valeurs. C’est, selon moi, une institution qui prend trop de place dans la société », croit-elle, précisant qu’elle se rendait à peine une fois par année à l’église et qu’elle n’a pas fait ses cours de catéchèse.
Entre protestation et athéisme
« L’apostasie est un geste important puisque ça marque un refus clair, alors que beaucoup de personnes deviendront athées sans pour autant se débaptiser », explique le professeur de théologie à l’Université Laval Jean-Philippe Perreault.
L’apostasie est considérée comme un geste de protestation, car la démarche demande l’implication du baptisé. « Conséquemment, une fois qu’ils ont posé le geste, les apostats prennent vraiment leur distance », affirme le professeur.
Pour le curé Alain Vaillancourt, l’apostasie est un geste fort regrettable. « C’est extrêmement sérieux et désolant. L’Église va toujours tenter de ramener la personne à sa fidélité. Ce n’est pas une bonne nouvelle », confie-t-il.
Se faire apostasier ne demande pas de rituel, contrairement au baptême. Il s’agit simplement d’un formulaire en ligne qu’il est possible de remplir en quelques minutes, pour l’apporter ensuite à l’église. Le nom de l’apostat est alors rayé des registres baptistères et la personne concernée n’est plus considérée comme fidèle. « J’ai des croyances, mais je ne m’associe pas vraiment à aucune religion », explique Stéphanie, ajoutant qu’elle se sentait prisonnière d’une décision qui n’était pas la sienne. Comme tout apostat, Stéphanie renonce à des privilèges comme l’enterrement dans un cimetière catholique et le mariage dans une église.
M. Perreault explique que l’apostasie n’est pas un phénomène très courant. « Ce qui est davantage courant, c’est le simple abandon. Et ça, on le voit avec la proportion de Québécois qui affirment être désormais sans appartenance religieuse», affirme-t-il. Selon lui, si quelqu’un devient indifférent à la question religieuse, mener la démarche d’apostasie ne résulte pas de l’indifférence. C’est plutôt un geste de rejet, une affirmation forte.
Des mobilisations citoyennes
« Les diocèses ne croulent pas sous les demandes d’apostasie à moins de scandales, où là, il y a plus de protestations », indique Jean-Philippe Perreault. Ça a été notamment le cas en 2009 et 2010, où les demandes ont explosé. Cette hausse est survenue à la suite de l’excommunion par un prêtre au Brésil d’une mère et de sa fillette de neuf ans, enceinte après qu’elle ait été violée par son beau-père.
Selon des chiffres obtenus par le Montréal Campus auprès de l’archidiocèse catholique de Québec, entre 1995 et 2018, on note une moyenne de 76 demandes d’apostasie par année. Cependant, une majorité d’adultes décident de se faire baptiser ou de se confirmer. En 2016, il y a eu 56 demandes d’apostasie contre 447 baptêmes et confirmations d’adultes. Le diocèse de Montréal n’a pas répondu aux demandes de statistiques du Montréal Campus.
Jean-Philippe Perreault souligne que l’Église n’est pas très préoccupée par les demandes d’apostasie, mais plutôt par le maintien de la foi catholique dans un univers où l’indifférence religieuse gagne du terrain. « L’Église est soucieuse de la liberté de confiance et de religion. C’est un trait fort, notamment depuis les années 1960, période associée au Vatican de Jean-Paul II », stipule le professeur de l’Université Laval.
Près de deux mois après avoir complété sa demande, Stéphanie St-Pierre attend toujours la lettre de confirmation qui fera officiellement d’elle une apostate.
photo: SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS
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