L’ombudsman se penche sur les frictions entre directeurs et étudiants aux cycles supérieurs

La présence d’un directeur de recherche sur le jury d’évaluation au doctorat et à la maîtrise peut mener à des cas de partialité lorsque les rapports entre le professeur et l’étudiant sont tendus.

C’est ce qu’établit, dans son rapport présenté au conseil d’administration le 20 mars dernier, l’ombudsman de l’UQAM, Muriel Binette. Selon les articles 7.1.4.7.2 et 8.1.4.6.2 du règlement des études de cycles supérieurs, l’auteur de la recherche peut choisir de remettre son projet de recherche même si le professeur lui en déconseille. Même si la relation entre l’étudiant et son directeur s’est effritée, ce dernier peut faire partie du jury d’évaluation.

Dans son rapport, Mme Binette propose à la vice-rectrice intérimaire à la vie académique, Danielle Laberge, de se pencher sur le règlement des études de cycles supérieurs afin d’éviter ces cas d’iniquité dans la notation.

« Je veux qu’on se pose la question parce qu’il y a des situations où l’on est vraiment dans le conflit et la partialité, explique-t-elle. Il y a quand même eu plusieurs cas. »

Il ne s’agit pas d’une alternative populaire que de voir l’étudiant changer de directeur de recherche. Le travail devra souvent être modifié en raison des exigences différentes du nouveau professeur. « Il n’y a pas de porte de sortie », précise Mme Binette.

Un cas de négligence

Marie* est l’une des étudiantes pour qui l’expérience de recherche s’est compliquée en raison des interventions de sa directrice. L’étudiante à la maîtrise a amorcé l’élaboration de son mémoire en 2015 et l’a remis en janvier dernier. Elle attend désormais son évaluation.

Au début de ses démarches, elle a demandé à son professeur de diriger son travail. Celui-ci allait toutefois prendre une année sabbatique au cours de la rédaction. Marie a hérité d’une autre directrice qu’elle ne connaissait pas et qui dirigeait son premier projet de maîtrise.

C’est à l’étape de rédaction que la relation s’est corsée. L’étudiante, qui devait déposer son travail en septembre 2017, à la rentrée des classes, a envoyé ses documents en juin pour obtenir des commentaires. La réponse n’est venue qu’un mois plus tard.

« Pendant ce mois-là, par quatre fois, je lui ai renvoyé le travail, note-t-elle. Parce que moi, j’avançais et je devais déposer. »

Perte de confiance

Dans une correction au début du mois d’août, à peine un mois avant la remise prévue, la directrice de recherche a établi que le projet n’était pas prêt à être déposé. Marie a consacré son mois à fignoler son travail, pour ensuite l’envoyer à la mi-août en correction finale.

La professeure a accusé réception du document le 22 août. Marie désirait une correction rapide pour passer les derniers jours avant la remise à agrémenter les cent pages de son dossier.

« Elle n’a plus jamais donné de nouvelles, déplore-t-elle. J’ai déposé le 8 septembre au matin, comme prévu. »

Comme la directrice n’avait pas suivi et signé le dossier, elle a demandé à son étudiante de payer les frais d’une autre session pour remettre le travail en janvier. « J’ai sauté de ma chaise », renchérit Marie. Pendant la session supplémentaire, je l’ai payée pour sa négligence ».

« Ce que je veux, tout simplement, c’est d’être jugée de façon équitable, ajoute-t-elle. Le directeur des cycles supérieurs de mon programme me l’a promis, mais je n’aurais jamais pu penser laisser l’évaluation entre les mains de ma directrice de recherche. » C’est pour cette raison qu’elle fait partie des étudiants à avoir visité l’ombudsman Muriel Binette.

Éric* est un autre étudiant à la maîtrise qui explique avoir subi cette situation. Après avoir entrepris la rédaction de son mémoire en 2014, il a eu plusieurs démêlées avec son directeur de recherche, qui, selon lui, n’était pas assez présent et attentif.

« Je n’ai jamais déposé mon mémoire parce que mon directeur aurait siégé sur le comité de correction, malgré ses lacunes frappantes sur […] mon sujet », lance-t-il.

Un problème fréquent?

Dans les programmes d’études supérieures de l’UQAM, on maintient que les cas du genre sont rares. Les représentants des quatre programmes qui ont accepté de s’entretenir avec le Montréal Campus disent n’avoir jamais ou rarement été confrontés à des événements du genre.

« Si je me fie à mon expérience, le problème est plus abstrait que concret, admet le directeur des cycles supérieurs au Département de sciences juridiques de l’UQAM, Rémi Bachand. Maintenant, je représente un programme, et je ne connais pas l’ampleur des autres cas à l’UQAM. Dans notre cas, ce n’est pas un problème majeur. Nous avons eu deux cas sur trois ans. »

« Le directeur n’est qu’un évaluateur sur trois, quatre ou cinq, explique le directeur des études supérieures du Département d’histoire de l’art, Itay Sapir. Son jugement n’est pas majoritaire. C’est quand même rarissime que le directeur de recherche ait un a priori contre l’étudiant. » Lui aussi n’a observé que deux cas du genre depuis le début de son mandat, en 2015.

Selon Muriel Binette, la fréquence des cas problématiques n’influence pas sa prise de décision en tant qu’ombudsman. « Je n’ai pas besoin de recevoir beaucoup de plaintes pour questionner un cas, affirme-t-elle. Aux cycles supérieurs, ce n’est pas facile pour les étudiants de se plaindre. »

Il est important de se pencher sur la question, mais les directeurs font rarement état de comportements improductifs, selon Rémi Bachand. « Ce n’est jamais dans l’intérêt du directeur de recherche de faire couler son étudiant », relativise-t-il.

Marie, quant à elle, ne reviendra pas à l’UQAM pour son effectuer son doctorat. Elle croit que, même si l’étudiant veut se trouver un nouveau directeur, il fait face à une « loi du cadenas ». « Entre étudiants on s’en parle », explique-t-elle.

* Noms fictifs

photo: ARCHIVES MONTRÉAL CAMPUS

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *