Il y a cent ans, le Quartier latin était reconnu comme l’un des carrefours bourgeois francophones les plus en vogue d’Amérique du Nord. Outre la présence étudiante importante en ses lieux, le quartier a été un point d’ancrage pour des communautés religieuses caritatives, qui colorent son paysage et son tissu social.
Avant que l’UQAM ne fasse de ce quartier son foyer, c’est l’Université Laval, originaire de Québec, qui a l’ambition de s’installer dans la métropole en 1878. Même si elle n’en porte pas encore le nom, l’Université de Montréal vient de naître. Pendant plus de 40 ans, l’institution est au centre de la vie du Quartier latin, avant de déménager de l’autre côté du mont Royal et d’emporter une partie de l’élite francophone avec elle.
Selon le service d’archives de l’UdeM, l’Université Laval à Montréal comptait 86 étudiants masculins dans ses trois facultés de médecine, de théologie et de droit. Elle s’établit entre les élégants carrés Viger, au sud, où l’élite canadienne-française commence à s’installer, et Saint-Louis, au nord, bordé par de charmantes demeures victoriennes. Les bâtiments du Grand Séminaire de Montréal, du château Ramezay et du Cabinet de lecture des Sulpiciens servaient d’écoles pour la poignée d’étudiants inscrits à l’Université Laval.
En 1895, portée par le désir de tenir en un seul et même lieu ses différentes écoles, l’université inaugure un nouvel édifice à l’angle sud-est des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine. Ce dernier peut désormais accueillir plus de mille étudiants. Aujourd’hui, il ne reste rien de son architecture originale, comme le pavillon Hubert-Aquin est érigé à son emplacement dans les années 1970.
D’après le professeur émérite au Département d’histoire de l’UQAM Jean-Claude Robert, la construction de la somptueuse bibliothèque Saint-Sulpice sur la rue Saint-Denis en 1915 consacre la vocation estudiantine du quartier. Déclaré monument historique en 1988, son style Beaux-Arts passe pourtant inaperçu aujourd’hui, entre le bar Le Saint-Sulpice et le restaurant Frites Alors.
Au cœur du divertissement
Pour le journaliste et historien Jean-François Nadeau, le divertissement et la culture ont toujours occupé une place importante dans le secteur du Quartier latin. « Les rues étaient joyeusement animées avec les cinémas français, les cabarets, les spectacles de musique, les libraires et les bars qui se multipliaient », énumère-t-il.
Le Théâtre français, inauguré en 1884 près de la rue Saint-Dominique (le MTelus actuel), présente des spectacles populaires tandis que « le somptueux théâtre Saint-Denis accueille des récitals importants », ajoute le professeur Jean-Claude Robert.
Pour M. Nadeau, le campus universitaire de l’époque était un lieu qui bouillonnait encore plus qu’aujourd’hui. « De nos jours, tout le trafic étudiant se joue dans les souterrains », comparativement aux débuts de la nouvelle université, où les bâtiments n’étaient pas connectés entre eux.
« À l’endroit où se situe aujourd’hui Bibliothèque et Archives nationales du Québec se trouvait le Palais du Commerce, explique Jean-Claude Robert. Cet édifice accueillait des événements populaires comme le fait aujourd’hui le Palais des congrès. On participait à des foires agricoles et de grandes expositions de toutes sortes. »
Période de changements
Sous la tutelle de l’Université Laval à Québec, le campus de Montréal obtient son indépendance en 1919. En plus des facultés traditionnelles, l’Université s’est alliée à un certain nombre d’écoles au fil des ans. À l’endroit où le pavillon Athanase-David siège toujours, la Polytechnique de Montréal y aura formé les premières générations d’ingénieurs immobiliers et ferroviaires canadiens-français. S’ajoutent au lot l’École des hautes études commerciales, l’École des beaux-arts de Montréal, une faculté de sciences et une école de sciences sociales, note M. Robert.
Durant les années 1920, l’UdeM entreprend des travaux de rénovation qui ne seront jamais achevés, faute de financement et de main-d’œuvre. Étant donné le krach boursier qui éclate en 1929, l’Université de Montréal décide donc, la même année, de construire de nouveaux édifices sur le mont Royal, qui seront moins dommageables pour les coffres de l’école.
Le départ de l’UdeM
Tous ces revirements de situation mettent en péril l’existence même de l’institution montréalaise. À plusieurs reprises, le versement des salaires aux employés est suspendu. « Tout s’est arrêté. Les travaux n’ont repris qu’au début de la Deuxième Guerre mondiale et se sont étirés jusqu’à sa fin à cause des rations sur les matériaux de construction, selon M. Robert. La guerre fait tourner l’économie, mais paralyse le reste. » En août 1942, l’Université de Montréal déménage sur le mont Royal, entraînant avec elle l’élite canadienne-française.
Pour le professeur Jean-Claude Robert, le départ des principales facultés de l’Université de Montréal laissa toute la place aux communautés religieuses, présentes dans le quartier avant même que l’idée d’une université n’eût le temps de germer dans les esprits.
Jean-François Nadeau est du même avis : le Quartier latin est plus que la résidence des écoles qui sont passées par là. « Encore à ce jour, les édifices religieux sont les éléments centraux du patrimoine du quartier, soutient-il. Le clocher de l’église Saint-Jacques faisait rougir d’orgueil ses paroissiens, car il possédait la plus haute flèche au Québec! » De nos jours, l’église, toujours aussi grandiose, s’intègre aux édifices de l’UQAM.
En dépit du déménagement des principales facultés de l’autre côté de la montagne, « il subsiste tout de même des composantes de l’Université de Montréal dans le Quartier latin jusqu’au début des années 60 », ajoute Jean-Claude Robert. Le Quartier latin reste donc, entre autres, fréquenté par les étudiants en génie et en commerce pendant plusieurs années, mais il est surtout teinté par la charité religieuse locale, près de la place Émilie-Gamelin. La présence caritative importante dans le quartier pourrait expliquer pourquoi il rassemble encore aujourd’hui les plus démunis.
photo : SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS
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