L’UQAM perd son expertise en climatologie régionale

DOSSIER | Recherche sur le climat

Le professeur René Laprise est entré en fonction à l’UQAM il y a trente ans; il était alors l’un des premiers à se pencher spécifiquement sur le climat régional québécois. Aujourd’hui, l’université a développé une expertise unique en la matière, qu’elle est pourtant sur le point de perdre par manque de financement.

À force d’acharnement, les équipes de recherche de l’UQAM ont toujours réussi à dénicher du financement des gouvernements fédéral et provincial pour faire progresser leurs travaux. Depuis 2013, le Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale (ESCER) de l’UQAM était notamment financé par le programme de Recherche sur les changements climatiques et l’atmosphère (RCCA). Quelques universités se séparaient son budget de 35 millions étalé sur cinq ans.

En juin dernier, les chercheurs de l’ESCER, mis sur pied en 2003, ont appris que le RCCA ne serait pas renouvelé. Le centre sera donc bientôt démantelé par manque de financement, à moins que de nouveaux fonds n’entrent en jeu.

Expertise en péril

« [Au-delà] du financement, ce qu’il nous faut, c’est de la continuité dans nos équipes de recherche », estime le professeur au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère René Laprise. Au fil des ans, ses recherches ont valu à l’UQAM une reconnaissance internationale sur la question climatique. Il est l’un des piliers de la modélisation climatique régionale, un programme qui permet d’étudier le climat à l’échelle locale.

À force de sauter d’un projet à l’autre en quête de financement, l’expertise uqamienne en climatologie se désintègre petit à petit. Les chercheurs de l’ESCER, dont René Laprise, sont forcés de se départir de leurs attachés de recherche en raison du manque de fonds. « Le problème, c’est qu’à l’UQAM, les post-doctorants peuvent seulement rester quatre ou cinq ans. Après, ils pourraient devenir assistants de recherche, mais ça coûte beaucoup plus cher », explique le post-doctorant Emmanuel Poan. Celui-ci a collaboré avec l’ESCER en 2014 et travaille aujourd’hui à Environnement Canada.

« L’UQAM avait une expertise en climat reconnue mondialement. La conserver devrait être une priorité, car elle est unique. Mais on manque de soutien. Alors, tout le monde part. C’est une hémorragie », résume M. Poan. De fil en aiguille, la situation transparaît et donne une mauvaise image de l’UQAM, qui peine alors à attirer de nouveaux étudiants, aux dires de M. Poan.

Or, la recherche universitaire sert de base au développement de projets beaucoup plus larges, voire internationaux. Le consortium Ouranos, entre autres, rassemble les expertises climatologiques pour émettre des recommandations aux décideurs de la société québécoise. Depuis que le financement fédéral s’est tari, entraînant le financement provincial dans sa chute, l’UQAM peine à livrer des données.

Manque de fonds pour la recherche

Pour comprendre et prévenir les catastrophes naturelles comme les inondations du printemps dernier, le Québec a besoin de comprendre son climat local à la dizaine de kilomètres près. Par exemple, la présence ou non d’eau sur le territoire peut avoir un impact direct sur l’occurrence et la sévérité des désastres météorologiques. « On sait qu’il y a le réchauffement global, mais il n’est pas réparti de façon égale. Dans certaines régions, comme la baie d’Hudson, il y a une amplification des changements climatiques », résume le professeur de géographie à l’UQAM Philippe Gachon.

L’UQAM possède les infrastructures nécessaires pour l’étude des sciences climatiques et de l’atmosphère. Ce qui manque aux chercheurs, c’est le soutien technique qui leur permettrait de se concentrer sur leur travail scientifique. « Il nous faut des associés de recherche à long terme, qui s’occupent de coordonner les effectifs et de gérer les imprévus. Ça nous permet d’avancer plus rapidement », constate la chercheuse Julie Mireille Thériault, également membre de l’ESCER. Celle-ci a la chance de collaborer à certains projets avec d’autres universités, qui obtiennent parfois davantage de financement, constate Mme Thériault.

« Le gouvernement investit de l’argent en environnement, mais pour la recherche d’impacts, et non la recherche en amont. On veut régler des problèmes, mais on ne veut pas investir sur le long terme pour développer les outils ou la connaissance. C’est comme bâtir un édifice sur un sol instable », illustre René Laprise.

La situation évolue si rapidement que les données de base deviennent désuètes. C’est cette recherche de fond que les chercheurs de l’UQAM s’efforcent de garder à jour. « Nous sommes rendus à la cinquième génération de notre modèle climatique régional sur environ 30 ans. Bientôt, il va être désuet, il faut l’adapter », enchaîne-t-il.

Le chercheur confie espérer un financement dans les années à venir. « Dans l’année précédant les élections, on devrait obtenir des subventions », estime-t-il. D’ici là, les chercheurs de l’ESCER prévoient que les équipes auront été démantelées complètement, et qu’il faudra pratiquement repartir à zéro pour récupérer l’expertise perdue. « Moi, je peux toujours prendre ma retraite. Mais pour les étudiants qui vont graduer, ça risque d’être plus difficile », conclut René Laprise.

 

photo : MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS

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