Après avoir visité Beyrouth une première fois en 2009, l’auteure Stéphanie Filion est tombée amoureuse de la capitale libanaise. Amoureuse de son air marin, des effluves d’épices, du soleil plombant les scènes de trafic monstre. La titulaire d’une maîtrise en études littéraires de l’UQAM signe avec succès son premier roman, Grand fauchage intérieur, dans lequel elle entraîne le lecteur dans cette frénésie propre au Proche-Orient.
Jeanne, une veuve âgée de 40 ans, atterrit au Liban. Le personnage, qui sept ans plus tôt, voyait son mari et son fils périr, est en quête d’une paix intérieure. Photographe, Jeanne fait son deuil en immortalisant des instants de vie pour se rappeler du temps fugace. Dans Beyrouth, une ville bouillonnante qui renaît des cendres de la guerre, Jeanne découvre également une population affectueuse.
Sur la route de Jeanne se présentera Julien, de passage pour une compétition de judo. Leur relation charnelle, qui semble d’abord impossible, se concrétise progressivement, appuyée par une écriture délicieusement sensuelle. Peu à peu, Jeanne apprend à apprécier le goût de l’évasion, et parvient à mettre derrière elle ses démons du passé.
Des univers parallèles
Le titre de l’oeuvre, Grand fauchage intérieur, est une technique de judo, traduit du japonais « O uchi gari », qui signifie « fauchage, déséquilibre et chute ». C’est Julien qui apprend ledit mouvement à Jeanne, chez qui s’amorce une étrange transformation physique et psychologique : la « mue ». Il s’agit d’un renouvellement d’une ancienne peau à une peau neuve. Par cette allégorie, la jeune auteure intègre le fantastique à un récit purement réel.
De la première à la dernière page, le lecteur développe un fort sentiment d’appartenance envers les personnages. Le choix de la narration à la première personne permet de saisir pleinement le tempérament perdu et innocent de Jeanne. « Je voulais quelque chose de très personnel et aider le lecteur à s’identifier à Jeanne le plus rapidement possible », confirme l’auteure Stéphanie Filion.
« C’est une histoire tournant autour d’un personnage qui souhaite se rebâtir, d’où la métaphore filée avec Beyrouth. Cette destination a permis à Jeanne de se reconstruire. On lui a conseillé d’aller à cet endroit, car il est su que les femmes libanaises ont de tout temps perdu leurs hommes durant la guerre, tout en restant fières et debouts », soutient la diplômée de l’UQAM.
Au cours des lignes écrites au présent, des retours en arrière complémentent la trame narrative. Cependant, ces passages ne sont pas assez explicites, car on en perd parfois le fil. Bien que l’auteure ait voulu déconstruire la chronologie pour alléger la lecture et en faciliter sa compréhension, il peut devenir difficile de se repérer à certains moments.
Aussi, l’univers fantastique, qui s’entremêle au réel, est parfois difficile à distinguer. Par exemple, lors de la première mue, l’auteure transporte le lecteur dans un jeu défiant le rapport au temps : « jusqu’au moment où la couche de cellules mortes qui la recouvrait allait se détacher, et alors mon univers allait disparaître, je serais aveugle pour quelques heures. »
Bien que Grand fauchage intérieur plonge le lecteur dans l’univers des mille et une nuits, l’essence du récit demeure réaliste. Quant au style d’écriture, mêlant habilement passages descriptifs et narratifs, il regorge de métaphores tantôt savoureuses, tantôt percutantes.
Crédit photo : Couverture Boréal, Portrait François Couture [Montage]