Montréal sort de la boîte

Boîtes à rythmes et beatboxeurs ne sont que quelques termes pour décrire ces artistes qui usent de leur bouche et de leurs cordes vocales afin de créer des rythmes percussifs à partir de rien. La communauté montréalaise de beatbox, en pleine effervescence, jouit d’une place de plus en plus grande sur la scène nationale.

Tous ont déjà vu passer une vidéo sur YouTube où un être humain était capable de reproduire le son d’un instrument ou le rythme d’une chanson à la perfection, uniquement avec sa bouche. Le beatbox est non seulement un art, mais aussi une discipline compétitive qui se répand à travers le monde.

Olivier Labelle-Mota, vice-champion canadien et Vincent Gagné, actuellement classé dans le top 8 canadien, sont tous deux des beatboxeurs montréalais amoureux de leur discipline. Les deux jeunes hommes, âgés de 20 et de 19 ans, ont des parcours qui présentent de nombreuses similitudes, malgré les multiples manières d’apprendre le beatbox. Respectivement connus sous les noms de Spectrax et de Veko, ils n’ont jamais eu de professeur ni de mentor, une chose plutôt commune dans ce milieu.

« J’ai commencé quand j’avais quatre ans. C’était à Noël et ma mère faisait des tests avec le micro pour s’assurer qu’il fonctionnait, explique Olivier Labelle-Mota. Elle a fait “boum-tchik-tchik” avec sa bouche et j’ai tout de suite voulu essayer. Depuis, je n’ai jamais arrêté de m’entraîner. » Cette manière d’apprendre est loin d’être atypique. La plupart des beatboxeurs apprennent de façon autodidacte, que ce soit en imitant ce qu’ils voient ou en s’informant sur YouTube.

Comme il n’existe pas ou très peu de façons de suivre des cours de beatbox, c’est sur Internet que commence l’entraînement. « Tu regardes des tutoriels et tu essayes de comprendre la mécanique du son. Ça ne sort pas toujours très bien quand tu en es à tes débuts », souligne de son côté Vincent Gagné, le sourire aux lèvres. 

Le côté artistique de cette pratique est apparu il y a près de 40 ans. Le professeur de littérature à l’Université de Toronto et corédacteur du livre The Anthology of Rap, Andrew DuBois, fait remarquer que c’est sur la scène hip-hop américaine des années 1980 que le beatbox a commencé à prendre davantage d’ampleur. Le groupe The Fat Boys a fait connaître la discipline grâce à des chansons rythmées par un de leurs membres, Buff Love, aussi surnommé The Human Beatbox.

Le rythme et non les poings

Les beatboxers ne persévèrent toutefois pas à apprendre leur art sans se fixer certains objectifs. Ces derniers ont l’occasion de prendre part à diverses compétitions. Comparables aux WordUp — ces joutes où deux rappeurs s’affrontent en trois rondes — les duels entre beatboxeurs sont des combats où chaque musicien dispose de deux tours de 90 secondes pour montrer ce dont il est capable.

Olivier et Vincent ont d’ailleurs participé au championnat canadien, tenu annuellement à Toronto, le 7 novembre 2016. « Toute la sélection pour le championnat se fait en ligne. Tu envoies une vidéo appelée Wild Card [durant la période de soumission], précise Olivier Labelle-Mota. Ensuite, les juges font leur sélection et les 16 meilleurs au pays se rencontrent et se battent. » Six Montréalais ont d’ailleurs fait un tour dans la Ville reine l’an dernier pour prendre part à la compétition.  

Le cofondateur de Beatbox Canada Philip Dixon ajoute que malgré le caractère compétitif des tournois, c’est surtout pour se réunir que ces joutes ont lieu. Selon lui, c’est une bonne manière pour les artistes de rencontrer d’autres adeptes de leur discipline. « Être avec d’autres beatboxeurs est toujours une forme d’apprentissage puisque tu peux recevoir des critiques immédiates et l’avis de tes pairs sur ce que tu fais, explique M. Dixon. Tu as aussi la chance d’entendre des choses nouvelles auxquelles tu n’aurais pas nécessairement été exposé. »

À Montréal, cette scène compétitive a beau ne pas être encore très connue selon Olivier, elle serait tout de même en pleine évolution. Ce dernier a d’ailleurs créé Beatbox Montréal à l’été 2015, la première plateforme sur les réseaux sociaux à réunir ceux qui pratiquent cet art dans la métropole.

Qu’ils évoluent dans le secteur compétitif ou non, tous les beatboxeurs sont invités à prendre part aux rencontres, aux séances d’improvisation ou aux compétitions locales organisées par le groupe. La gestion par les réseaux sociaux, notamment sur Facebook, facilite aussi grandement l’organisation des spectacles et des duels locaux. « Je voulais créer une porte d’accès pour les jeunes beatboxers », raconte Olivier. Il veut donner à tous la chance de pouvoir s’entraîner avec d’autres beatboxeurs et de les défier.

Philip Dixon souligne la place bien spéciale qu’occupe Montréal sur la scène nationale de beatbox en ce moment. « Toronto a toujours eu un avantage avec ses nombreux programmes artistiques comme UNITY Charity [organisation communautaire qui propose une éducation alternative basée sur l’art], et la tenue de plusieurs tournois en son sol, mais on commence à voir de plus en plus d’artistes montréalais s’investir dans leur scène, dénote-t-il. En ce moment, la scène de beatbox canadienne a les yeux rivés sur Montréal en raison de la quantité d’artistes extrêmement talentueux qui viennent de là. »

Le soutien du Web

Les plateformes vidéo et de partage de contenu, comme YouTube ou Facebook, jouent aussi un grand rôle pour augmenter la visibilité des beatboxeurs québécois ou d’ailleurs dans le monde. « Tu ne peux pas dissocier le beatbox de son côté visuel, pense Vincent Gagné. C’est un des éléments qui rend cet art si attrayant pour le public, le fait de pouvoir examiner la manière dont on crée les sons qui sortent de notre bouche. »

Le professeur et auteur Andrew DuBois abonde dans le même sens. « Je ne peux pas écouter du beatbox sans penser aux personnalités disproportionnées de Buff et Biz, [deux membres du groupe The Fat Boys], explique l’enseignant. C’est la même chose pour Dizzy Gillespie, on ne peut écouter son be-bop sans imaginer ses immenses joues se gonfler quand il souffle dans sa trompette. »

Expressionnisme artistique pour certains, art entièrement musical pour d’autres, le beatbox permet à des individus de toutes les origines et de tous les styles de créer et de mettre en bouche ce qui, pour eux, est la musique qui emplit leur cerveau.

Photos et vidéo: GIA KHANH NGUYEN LE MONTRÉAL CAMPUS

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