Une critique sociale… à l’aide de marionnettes

Un héros intergalactique caucasien part en mission pour civiliser les « sauvages exotiques » qui peuplent la Terre : telle est la prémisse de la pièce satirique White Like Me: A Honky Dory Puppet Show, du comédien américain Paul Zaloom. Présenté du 3 au 5 novembre derniers au Théâtre Aux Écuries, le spectacle de marionnettes pour adultes aborde les enjeux liés à l’immigration et réaffirme le pouvoir contestataire de cet art.

Paul Zaloom entre en scène accompagné d’une marionnette ventriloque, enfermée dans une boîte pendant 50 ans. Il l’informe de tout ce qui a changé depuis, entraînant chez le personnage des réactions plutôt choquantes pour le spectateur du 21e siècle. « A Negro for president ? Weird », commente la marionnette. Le protagoniste de la pièce principale, White-Man, est un explorateur intergalactique. C’est par l’entremise de son personnage que le marionnettiste dénonce, avec humour, les dérapages occidentaux.

Le héros est envoyé dans l’espace à la demande de Dieu pour découvrir de nouveaux mondes. Arrivé sur la Terre, il tente d’améliorer la vie des indigènes pour les rendre « normaux comme lui ». L’astronaute se convertit en philanthrope et en sauveur, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive, avec horreur, que les Blancs seront en minorité dans les États-Unis du futur: « White-Man va-t-il accepter le fait qu’il devient juste un Autre, lui aussi ? Nous le saurons en 2042 ! », s’exclame le narrateur, à la fin de la pièce.

Au travers des péripéties saugrenues, le théâtre d’objets de Paul Zaloom s’attaque à la destruction de l’environnement, à la religion,
au colonialisme, à la société de consommation, à la fausse philanthropie et aux autres paradoxes de notre époque.

« C’est intéressant de faire du théâtre à propos de tels enjeux, de prendre des sujets sérieux et de trouver une façon d’en rigoler », raconte le comédien issu du très engagé Bread and Puppet Theatre, au Vermont. Il considère la satire comme essentielle à la dénonciation de problèmes sociétaux. « Il faut rire de cette merde», lance-t-il sans censure.

Pour Paul Zaloom, le rire est le « grand solvant de notre résistance [aux nouvelles façons de penser] ». Il croit fermement que l’humour peut amener les spectateurs à réfléchir à des enjeux auxquels ils ne seraient autrement pas confrontés. Dans le cadre d’une performance loufoque comme White Like Me, « les gens sont moins sur la défensive et plus ouverts sur le monde, ce n’est pas aussi menaçant », estime le marionnettiste.

La directrice artistique des Casteliers, Louise Lapointe, affirme que « les marionnettes ont une force de frappe exceptionnelle ». Elle indique qu’à toutes les époques, cette forme d’art a été un outil de contestation politique. À son avis, il s’agit d’une métaphore de l’humanité. « Vu que le théâtre de marionnettes constitue un univers figuré en soi, cela permet de représenter et de dénoncer des problématiques de façon particulièrement significative », fait-elle savoir.

Louise Lapointe considère que White Like Me est un bon exemple de spectacle en apparence léger au travers duquel est dénoncé tout un système de valeurs. « Paul Zaloom est quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux, mais qui prend son travail au sérieux », souligne-t-elle.

Selon la professeure à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, Dinaïg Stall, l’avantage de ce média comme critique sociale est que le message est porté par un objet. « Même si on sait qu’il y a quelqu’un derrière, c’est symboliquement un personnage fictif qui parle, explique-t-elle. Cela permet d’en dire plus et de formuler librement l’énonciation. »

D’après elle, les marionnettes peuvent être traitées d’une manière qui paraîtrait intolérable s’il s’agissait de comédiens. « On peut montrer la violence assez concrètement, tout en laissant un espace au public pour décider à quel point il se laisse emporter par l’imaginaire », fait valoir la professeure. Selon ses observations, la principale distinction entre la création d’un spectacle contestataire ou non réside dans sa réception. « Lorsqu’on produit quelque chose qui dérange, il faut être prêt à ce que ça ne fasse pas l’unanimité. C’est ce qui arrive lorsqu’on veut brasser la cage », conclut-elle.

Photo: MARK BRUTSCHÉ

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