C’était à l’été 2013, je crois. J’habitais encore à Val-d’Or. À l’époque, on m’appelait « Dumbledore » le temps d’un été. C’était aussi à l’époque où je travaillais comme animateur de camp de vacances, à l’Été en fête, plus précisément.
Cette année-là, j’avais le privilège d’être responsable du groupe des 10-12 ans de l’école Saint-Joseph, située dans le magnifique quartier Bourlamaque. Je parle d’un privilège, car c’est connu, en général, les enfants de ce secteur ont la chance de grandir dans des conditions socioéconomiques exemplaires. Mon groupe de jeunes était donc super allumé et pas trop tannant; juste assez, disons.
Ces derniers jours, avec tout ce qui se passe à Val-d’Or, j’ai ce vague souvenir d’été qui me revient quotidiennement. C’était un mardi après-midi, mon groupe et moi allions à la piscine de la polyvalente. Nous partions de l’école Saint-Joseph à vélo pour arriver vers 12h, le temps de dîner, laisser les enfants s’amuser, et nous, animateurs, de digérer et de nous reposer avant de sauter dans la piscine pour tout l’après-midi. Comme chaque mardi, nous nous installions sur le terrain de basket-ball extérieur.
Au moment où les jeunes de mon groupe finissaient de jouer et commençaient à ramasser leurs sacs et boîtes à lunch, un autre groupe d’enfants s’amenait au loin. Une fois plus près, j’ai compris que ce n’était pas un groupe du même camp de vacances que le nôtre. C’étaient les jeunes d’un autre camp, moins connu dans cette ville. Mes enfants, eux, ne comprenaient pas cela de la même manière. Ça se voyait dans leur visage: ils se demandaient qui ils pouvaient bien être. N’y avait-il pas en effet qu’un seul camp de vacances à Val-d’Or ?
Aujourd’hui, même en ce début d’hiver à Montréal, la scène qui s’est produite à ce moment-là résonne dans ma tête. L’autre groupe de jeunes arrive et s’installe tout juste à côté de nous pour y faire la même chose: manger, s’amuser et profiter de cette journée de juillet ensoleillée. Un de mes jeunes me demande alors: «Dumbledore, c’est qui, eux ? ». Évidemment, je sais qui ils sont. Je lui réponds: « C’est le camp de vacances du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Ils viennent s’amuser comme nous ! » Dans sa lucide naïveté d’enfant, il rétorque: « Mais alors, pourquoi ils ne sont pas avec nous, eux autres?». J’ai bloqué. Le genre de question qui te fait figer et chercher tes mots. Question toute simple, enfantine, mais ô combien profonde et vraie!
À cette question, je ne me rappelle plus exactement ce que j’avais répondu. Un truc vague et vide de sens, j’imagine. De la « bullshit », en d’autres mots. On dit souvent que la vérité sort de la bouche des enfants, sans dire pour autant que l’inverse sort de la bouche des adultes. Ce jour-là, j’avais menti à un enfant. J’aurais pu lui expliquer la vraie ou les vraies raisons de l’existence de cette séparation entre allochtones et autochtones à Val-d’Or qui se manifeste même jusque dans la composition des camps de vacances pour enfants, mais je ne l’ai pas fait. Aujourd’hui, avec tout ce qui se passe à Val-d’Or entourant les dénonciations de violences et de racisme systémique que les femmes et hommes autochtones vivent, j’ai l’impression que beaucoup d’adultes se racontent de la « bullshit », comme je l’ai moi-même fait avec ce jeune ce jour-là, pour éviter de faire face à la situation.
Parce que c’est de la « bullshit » de penser que c’est un conflit qui se joue à armes égales et que la solution doit venir également des deux côtés.
Parce que c’est de la « bullshit » d’appeler ce qui se passe en ce moment à Val-d’Or une « crise », alors que quiconque ayant grandi là sait très bien que les tensions entre autochtones et allochtones sont présentes depuis bien longtemps et que celles-ci sont mêmes figées et perpétuées par des institutions et des lois coloniales.
Parce que c’est de la « bullshit » de nier que Val-d’Or est frappée d’un véritable cancer, comme le disait de manière exemplaire Jimmy Papatie, membre et ancien chef de la communauté de Kitcisakik, lorsque ce dernier rappelait au maire Pierre Corbeil que la ville s’est bel et bien bâtie sur la dépossession territoriale des terres et des ressources des Anishnabés.
Parce que c’est de la « bullshit » de croire qu’il est normal que des policiers enquêtent sur d’autres policiers.
Parce que c’est de la « bullshit » quand des policiers de la Sûreté du Québec de Val-d’Or poursuivent Radio-Canada pour 2,3 millions, alors qu’ils devraient plutôt remettre en question leurs propres pratiques et celles de leur employeur, qui gère ce dossier à la manière d’une entreprise privée cherchant à préserver son image avec des méthodes de relations publiques douteuses et lâches.
Parce qu’au final, je crois profondément que nous devrions revenir à l’essentiel dans ce conflit. Apprendre à examiner dans l’histoire de notre région, mais aussi dans l’histoire de notre pays, quelles sont les causes profondes de l’existence d’institutions et de lois colonialistes qui maintiennent encore aujourd’hui les peuples autochtones dans une situation plus que déplorable. Peut-être qu’après ça, on sera en mesure de répondre sans se défiler quand un enfant nous posera la question : « Mais alors, pourquoi ils ne sont pas avec nous, eux autres ? »
*L’auteur est étudiant au baccalauréat en science politique à l’UQAM
Photo: CENTRE D’AMITIÉ AUTOCHTONE DE VAL-D’OR
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