Quand la réalité rattrape la fiction

Depuis déjà sept ans, Marc-Antoine* et Julie* participent à plusieurs jeux de rôle grandeur nature (GN) au Québec afin d’interpréter des personnages médiévaux dans différents contextes. Tout s’était toujours déroulé dans le respect, jusqu’à une soirée bien arrosée pour plusieurs joueurs où Julie s’est fait agresser verbalement et physiquement par un autre participant, Michael*.

Plusieurs initiés du GN ont confié au Montréal Campus leur expérience et leur point de vue sur les abus sexuels. Des groupes de joueuses et de joueurs ont même mis sur pied des initiatives de sensibilisation pour s’attaquer au problème dans le milieu.

Dans l’histoire de Marc-Antoine*, Julie* et Michael*, tout a commencé par des compliments : « T’es tellement cute », « Ton costume est beau ». Plus la discussion avançait, plus les propos de Michael* devenaient insistants, selon Marc-Antoine. « Il essayait de me tasser moi pour me dire : “C’est moi qui la prends” », raconte-t-il en se souvenant du moindre détail. C’est alors que Michael a agrippé Julie par le bras. « J’ai dû le tasser assez brutalement pour partir avec mon amie », se rappelle Marc-Antoine. Cet incident a profondément marqué les deux amateurs de GN. « Depuis, Julie ne se promène plus toute seule le soir dans ces événements. Elle est toujours accompagnée et toujours craintive », déplore-t-il.

Si tu couches avec moi, je te donne des points d’expérience
Propos d’un organisateur de GN cités par Melina Cyrenne

Le  «système de domination» qui a été décrit au Montréal Campus s’incarnerait notamment dans le milieu du GN québécois par une forme de prostitution. « Un organisateur disait à des femmes : “si tu couches avec moi, je te donne des points d’expériences” », se rappelle Melina Cyrenne, présidente des Mélusines, un groupe de soutien mis en place par des joueuses pour sensibiliser le milieu du GN à la culture du viol.

Quelques événements québécois relègueraient les femmes à des rôles de soutien, estime Melina Cyrenne. « Certains GN empêchent les filles de jouer des rôles de guerrières, de marchandes, de diplomates, précise-t-elle. Elles sont placées dans des rôles plus passifs comme prêtresse, alchimiste et guérisseuse, dès leurs premières expériences. Elles ont ensuite peu de place pour évoluer vers les rôles actifs. »  Les femmes ont alors du mal à prendre leur place et à s’affirmer de peur de ne pas être prises au sérieux. « Ces rôles plus passifs établissent une relation de domination dans les événements concernés », rapporte Melina Cyrenne. Ce n’est toutefois pas tous les GN qui exercent cette distinction entre les hommes et les femmes. « Les GN qui posent ces interdictions aux femmes représentent une minorité », relativise-t-elle.

Des jeux en manque de maturité

Un sondage réalisé en 2007 et publié en 2013 sur le site Electro-GN.com montre que la communauté est beaucoup plus jeune au Québec qu’en Europe. Cet âge moyen moins élevé au Québec pourrait expliquer une partie du problème de la  représentation féminine dans les grandeur nature. L’adolescence est une période ou l’on veut « acquérir une forme de reconnaissance et de statut » écrit le professeur titulaire au Département de psychologie de l’Université de Montréal et auteur de L’univers social des adolescents, Michel Claes. Certaines filles vont alors sexualiser leur personnage pour obtenir une validation sociale. « J’ai commencé à 13 ans et j’étais dans les seules filles, raconte Melina Cyrenne. Automatiquement, les gars s’approchent. Je manquais de confiance et je l’ai bâtie sur la sexualisation de mes personnages. Beaucoup de filles sont dans cette situation. »

Marc-Antoine, un adepte de GN depuis plusieurs années, assure qu’il n’y a pas de costume imposé et que les femmes ont le choix d’arborer l’accoutrement qu’elles désirent. Le problème se trouverait dans le manque de choix qui s’offre en boutique. Il y aurait beaucoup moins d’articles pour femmes que pour hommes. « Pour les femmes, souvent, on va faire des corsets, explique Marc-Antoine. C’est rare qu’une femme va pouvoir trouver une armure complète qui va tout cacher. » Pour lui, cela n’est pas surprenant en considérant que les designers de costumes trouvent souvent leurs inspirations des films médiévaux qui véhiculent cette image de « femme dénudée ».  

Les garçons, quant à eux, auraient tendance à faire passer leurs comportements sexistes sur le compte de leur personnage. « Beaucoup de gars vont dire : “ce n’est pas moi, c’est mon personnage” », révèle Melina Cyrenne.   

Des actions pour renverser la vapeur

Certains scénarios de GN intègrent avec succès une représentation de la sexualité dans le jeu. Ils y parviennent notamment grâce à des méthodes pour simuler un acte sexuel sans toutefois le vivre. « Nous avons un bordel en jeu et les prostitués sont aussi bien des gars que des filles, expose Julie Bélec, organisatrice du GN post-apocalyptique Ruins’n Rads. Les relations sexuelles sont représentées par un jeu de cartes, les participants ne se touchent pas. »    

La culture du viol ne s’incarnerait pas systématiquement dans tous les GN; certains événements, au contraire, sensibilisent les joueurs aux comportements sexistes. C’est le cas de Mad about the boys, un jeu de rôle danois dans lequel les hommes sont objectivés et perçus comme des outils de reproduction. L’événement est une réflexion sur « le genre, l’hétéronormativité, la parentalité et la démocratie », peut-on lire sur leur site Internet.

D’ailleurs, bien qu’ils aient vécu une expérience traumatisante l’an dernier, Marc-Antoine et Julie continuent de fréquenter divers grandeur nature québécois, d’abord par passion, mais aussi parce qu’ils sont convaincus que ce genre d’incident n’est pas chose commune.

*Noms fictifs

Photos: CATHERINE LEGAULT MONTRÉAL CAMPUS

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