Le mot féminisme brave les tempêtes médiatiques et les redéfinitions changeantes. Rachel Chagnon, directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), maintient à flot ces barques qui se fracassent entre elles en continuant à générer du mouvement.
Formée à l’Université de Montréal pour devenir avocate, Rachel Chagnon s’est rangée dans le camp du droit des affaires au début des années 1990. Dans son bureau de l’IREF, ironiquement coincé entre un cinéma érotique et un casse-croûte sportif de la rue Sainte-Catherine, elle raconte avec un brin d’amertume avoir arrêté son choix sur le droit des affaires au détriment du droit de la famille, catégorisé comme «le droit de femmes». «J’avais énormément de préjugés à l’époque. Je n’étais définitivement pas un modèle», s’esclaffe-t-elle. Même si elle s’est orientée dans la recherche lors de son doctorat, son amour pour la pratique du droit perdure dans ses enseignements au département de science juridique de l’UQAM.
Rachel Chagnon doit inévitablement peser le pour et le contre dans chaque situation. S’exprimant délibérément sur une question, l’ex-juriste doit préciser le yin et le yang de ses prises de position. Gestuelle affirmative, ses poings bondissent sur son bureau pour mieux ponctuer ses phrases. «Je suis allergique aux gens qui ne tiennent pas en compte les deux côtés de la médaille, même à ceux et celles qui se disent féministes et qui ont une mentalité fermée», a-t-elle tenu à préciser. «En tant que juriste de formation, j’ai été conditionnée à voir de chaque côté de la clôture», a-t-elle ajouté. Cette prédisposition à considérer le positif et le négatif l’aide à garder un point de vue objectif sur les recherches menées à l’IREF. Bien qu’elle soit à la tête de l’Institut, ce n’est pas une raison pour gonfler son ego. Elle se considère comme «le concierge de l’hôtel» en assurant uniquement la coordination générale de l’Institut, la gestion des problèmes internes et une réputation qui perdurera dans l’imaginaire collectif.
Féministe ou non, là est la question
Son opinion n’est pourtant pas aussi nuancée sur la question des dernières déclarations de la ministre libérale Lise Thériault. Avant de se lancer dans un discours subjectif, Rachel Chagnon tient tout de même à préciser que la ministre de la Condition féminine devait avoir «d’autres belles qualités», même si «elle ne pouvait pas se dire féministe». Elle admet, avec un brin d’optimisme, que c’est un pas en avant pour le parti de Philippe Couillard d’avoir reconnu, en septembre dernier, qu’il amplifiait les inégalités sociales. Laissant la juriste de côté, son point de vue féministe se trouve rapidement au centre du discours. «Si tu étais féministe et ministre libérale, ton réflexe serait de surveiller ton gouvernement. Quand tu constates qu’il porte atteinte aux femmes de façon disproportionnée, il faudrait au moins que tu lèves le drapeau jaune», signale-t-elle. La définition du féminisme proposée par Lise Thériault est sans surprise pour la professeure. «Les coupes dans les services sociaux touchent démesurément les femmes et 80% de leurs emplois sont perdus à cause des politiques libérales fédérales. Si [la ministre Thériault] ne peut pas le voir, ce n’est pas du féminisme», a-t-elle rétorqué.
Rachel Chagnon affirme pouvoir différencier le vrai féminisme du faux, sans donner un modèle précis à suivre pour s’engager. Elle s’exaspère tant des féministes qui se prétendent incarner l’exemple à adopter que des individus dont les actions ne suivent pas les paroles. Selon la directrice de l’IREF, la cause féministe prend son sens dans l’action. «Si tu te dis écologiste et que tu ne fais qu’avoir un bac de recyclage vide sans jamais le remplir, tu n’as pas la conscience environnementale d’un écologiste», illustre-t-elle. Cela vaut également pour les personnalités publiques qui crient haut et fort leur soutien à la cause féministe, sans cohérence entre leurs gestes et leurs discours.
L’artiste américaine Beyoncé a particulièrement frappé la très renseignée professeure sur sa situation dite «schizophrène». Assumant encore une fois que les intentions de la chanteuse américaine à l’égard du féminisme n’étaient pas mauvaises, il fallait souligner qu’à un spectacle-bénéfice de sa fondation Chime For Change, Beyoncé avait invité trois rappeurs qui dénigraient la femme dans leurs chansons. «Au moins, elle a essayé de faire avancer la cause», conclut Rachel Chagnon, gardant toujours une lueur d’espoir.
Une chose est certaine, Rachel Chagnon propose une vision juste et lucide de la cause féministe qui ne fait que gagner en force, malgré les fausses pistes et mauvaises interprétations.
Photo : Catherine Legault
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