Philosopher sur la place de la philo

Le professeur émérite de philosophie à l’UQAM, Georges Leroux, propose que les cégeps offrent davantage de cours reliés à la philosophie, et ce, au-delà des enseignements obligatoires pour tous les cégépiens québécois. La suggestion laisse place à un débat sur l’apport de cette matière dans sa forme actuelle.

Georges Leroux en appelle à cette stratégie qui vise à revigorer l’offre de la philosophie dans l’ouvrage L’enseignement de la philosophie au cégep, Histoire et débats. Aux yeux du philosophe, toutefois, cette solution ne constitue qu’une avenue au sein de plusieurs autres tactiques. «L’idée d’offrir plus de cours complémentaires représente une option possible, mais on peut avoir recours à des programmes latéraux et des collaborations interdisciplinaires», mentionne-t-il.

Il illustre d’ailleurs son propos grâce au programme en technologie forestière à Rouyn-Noranda. «Si un cours complémentaire ou même le troisième cours de philosophie, Éthique et politique, aborde les questions environnementales ou même la responsabilité par rapport à la forêt, il intéressera beaucoup plus les étudiants», explique-t-il.

Cet appel à un renouveau survient alors qu’une menace pèse sur l’enseignement philosophique au collégial, d’après M. Leroux. À la fin du rapport qu’il a publié à l’automne 2014, le président du chantier sur l’offre de la formation collégiale, Guy Demers, cherchait à revoir la formule des cours obligatoires communs. L’ancien ministre libéral Yves Bolduc avait alors mandaté trois conseillers: Nicole Rouillier, Lyne Boineau et Daniel Marcotte, trois anciens directeurs généraux de cégeps, qui se concertent encore en ce moment pour appliquer les recommandations du rapport Demers.

«Quand on passe d’un rapport avec des recommandations larges à des mesures «d’opérationnalisation», le danger se rapproche puisqu’il peut y avoir des actions qui interviennent sur le plan législatif», explique M. Leroux. À ce propos, le philosophe craint certaines propositions qui permettraient aux étudiants dans un programme technique d’avoir moins de cours en philosophie ou des cours distincts des autres avec un degré de difficulté moindre. Il assure par contre que de tels exemples restent hypothétiques et qu’il faudra attendre d’analyser les conclusions des trois conseillers pour voir s’il existe une menace réelle.

La réticence des professeurs actuels

Pendant ce temps, les professeurs de philosophie adoptent un réflexe de crispation, une situation que comprend parfaitement M. Leroux. «Il y a une crainte, une frayeur. Ils se disent que la seule mesure qui peut nous protéger contre une transformation radicale reste de défendre à tout prix le périmètre: c’est le réflexe d’Astérix», illustre le philosophe.

Les propositions de M. Leroux répondent selon lui à une certaine urgence. «On a trop attendu, c’est-à-dire qu’on a laissé s’éroder un pouvoir intellectuel, analyse-t-il. Et maintenant, c’est comme pour l’environnement, on est à minuit moins cinq. Il est grandement temps qu’on se réveille et qu’on en fasse plus», ajoute M. Leroux.

Les trois cours de philosophie communs doivent toutefois rester intacts pour offrir à tous un fonds culturel de base, selon M. Leroux. La professeure de philosophie au Cégep Saint-Laurent,Catherine Guindon partage également cet avis et craint une modification des devis ministériels. «Ce genre d’adaptation me fait peur puisque c’est comme si on refusait absolument de décentrer l’étudiant de ses intérêts plus immédiats», mentionne Mme Guindon.

Selon celle qui a complété sa maîtrise en philosophie à l’Université de Montréal, il ne faut pas délaisser les philosophes de l’Antiquité au profit de concepts exclusivement contemporaines. «On ne peut pas passer à côté des incontournables comme Platon et Descartes ou des notions importantes qui sont au fondement de notre réflexion», affirme Mme Guindon.

Elle suggère également des pistes de réflexion pour adapter la formation philosophique, soit le retour à quatre cours de philosophie ou, à tout le moins, la révision du premier cours, Philosophie et rationalité. «C’est un cours fourre-tout qui est difficile à donner parce qu’on manque de temps pour enseigner toutes les notions», considère Mme Guindon.

Vision d’une cégépienne

Pour une majorité d’étudiants qui suivent une formation technique, les cours de philosophie n’ont pas leur place dans le programme, pense l’étudiante en techniques d’orthèses visuelles, Marie-Ève Pronovost. «On a choisi la formation technique parce que c’est concret, affirme-t-elle. La philosophie nous intéresse moins puisqu’il s’agit d’une matière plus abstraite qui ne nous apporte rien de plus dans le cadre de notre profession», ajoute Marie-Ève.

L’étudiante comprend l’utilité de la philosophie à certains égards, mais elle pense néanmoins que les trois cours, s’ils sont maintenus, doivent se renouveler. «Si la formation philosophique se rattachait directement à notre programme, on constaterait plus de liens avec nos cours de notre technique,», mentionne la cégépienne.

Le professeur Georges Leroux ne prétend pas posséder la vérité infuse quant aux solutions à adopter. Il désire simplement favoriser un affrontement d’idées à ce sujet. L’option choisie aura toutefois un lourd mandat : intéresser à nouveau les étudiants, demeurer distincte des intérêts du marché du travail et garder sa mission civique qui vise à éduquer sur le plan éthique et politique.

Photo : Alexis Boulianne

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