Communautaire : Le nouveau lobby à abattre

Ma mère est directrice générale d’un organisme d’aide aux parents de personnes handicapées et mon père a coordonné une maison de jeunes dans le quartier où j’ai passé toute ma jeunesse. Je suis un enfant du communautaire.

Je n’ai jamais eu Lucien Bouchard ou Jean Charest autour de ma table de cuisine. Mes parents ne m’ont jamais amené une semaine au Château Champlain le temps de rencontrer l’attaché de tel ou tel ministre. Je n’ai pas souvenir de les avoir vu sabrer le champagne dans une loge du Centre Bell, se félicitant d’avoir reçu un chèque de huit chiffres pour leur prochain projet de quartier. Il existe, entre l’image que je me fais de ces deux travailleurs du communautaire et celle qu’entretient le gouvernement Couillard, un gouffre infranchissable. Un gouffre qui inspire un nouveau projet de loi.

Projet de loi 56 : le lobby communautaire

Le projet de loi 56 déposé par le ministre Jean-Marc Fournier vise à amender l’actuelle Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, afin d’élargir la définition de lobbyiste aux Organismes sans but lucratif (OSBL). Sont entre autre inclus dans ce «lobbyisme d’organisme» les organismes communautaires, les groupes sociaux et les associations étudiantes accréditées. Un administrateur d’organisme (bénévole ou non), un salarié ou un bénévole participant à une rencontre avec un décideur se verra donc apposer l’étiquette de lobbyiste. Un exercice qui comporte sa part d’absurde, comme en fait état l’exemple suivant.

«J’aimerais organiser une fête de quartier»

Un organisme communautaire veut organiser une fête de quartier. Pour assurer le financement de cette activité, elle lance ses lignes à l’eau : maire et conseil d’arrondissement, député provincial de la circonscription et commission scolaire sont tous joints. Puisque cette sollicitation ne fait pas partie des exceptions prévues par le projet de loi, il sagira dun acte de lobbyisme.

L’association commence par envoyer une lettre signée par les cinq membres de son CA à chacune de ces instances. Ceci constitue un premier acte de lobbyisme et ses cinq signataires deviennent de facto des «lobbyistes d’organismes». Le conseil d’arrondissement étant intéressé à financer le projet, une rencontre formelle s’organise. Assiste à cette réunion un salarié chargé de dossier et un bénévole actif dans le projet. Et vlan, deux nouveaux lobbyistes! L’organisme désire ensuite obtenir une permission spéciale pour bloquer une rue résidentielle. Le chargé de projet sollicite à nouveau le maire à cet effet : un nouvel acte de lobbyisme enregistré.

Une fête de quartier plus tard, sept nouveaux lobbyistes auront remplis au total neuf déclarations inscrites au registre du lobbyisme, de même que 21 déclarations trimestrielles au courant de cette année.

Un frein inutile à l’action communautaire

Le projet de loi 56 est inadapté et franchement ignorant de la réalité du communautaire. Ces nouvelles dispositions vont limiter l’implication de militants, pour la plupart bénévoles, qui n’auront pas les moyens d’assurer de telles obligations. La marge de manœuvre des OSBL sera elle-même affectée par un important gaspillage de ressources (tant en frais de gestion qu’en heures de travail dépensées).

Cette idée d’un communautaire lobbyiste n’est pas celle que j’entretiens. Le communautaire que je connais, c’est celui de gens qui se donnent corps et âme. C’est la somme d’actions collectives qui, mises bout-à-bout, font une meilleure société. C’est le travail de ma mère et de mon père, de plus en plus sollicité à cause du bradage du secteur public. Quelle honte de voir qu’une loi formulée afin de protéger le peuple québécois des intérêts marchands de quelques requins, est aujourd’hui détournée afin de faire entrave à des agents du bien commun.

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