La pièce Five Kings présentée à l’espace Go est un tour de force théâtral, un des rares moments où plusieurs éléments arrivés à maturité combinent leur talent pour modifier l’histoire et sa beauté.
Il n’est pas garanti que bien des Québécois se prêteront au jeu d’assister à un collage shakespearien de 300 minutes. C’est triste parce que ceux-ci manqueront une pièce d’anthologie de l’histoire du théâtre québécois et un grand moment de la carrière de l’auteur Olivier Kemeid. Il y a tout d’abord ce défi qui a pris cinq ans à se matérialiser. C’est qu’il fallait forger les cinq cycles royaux de Shakespeare (Richard II, Richard III, Henry IV, V et VI) ensemble pour n’en faire qu’une énorme pièce.
Dans la représentation, le plus impressionnant est l’évolution de la mise en scène qui suit assez exactement la capacité de concentration des spectateurs. Séparé en quatre cycles, le récit s’ouvre sur un premier, très rude intellectuellement. Il s’agit de théâtre élisabéthain classique. Les dix acteurs sont alignés et ne bougent que leur mâchoire pour faire sentir l’esprit dramatique. La dernière partie est toute autre. Alors qu’il est presque 23h30 et que l’attention de la foule faiblit, les comédiens brisent le quatrième mur et tombent dans l’autodérision. Ce qui était tout d’abord une tragédie devient une satire politique calquée sur notre époque, comme quoi les deux formules ne sont pas bien éloignées.
Patrice Dubois et Hugues Frénette offrent des performances d’acteurs sensationnelles. C’est le cas du premier dans le rôle d’Aumerle, assistant dévoué et effacé de Richard II, qui va ensuite interpréter un Richard III rongé par le pouvoir en quatrième partie. Hugues est particulièrement flamboyant dans son interprétation d’Édouard York. Sans oublier Jean-Marc Dalpé, extraordinaire en Falstaff, venant réchauffer la foule après une première partie aride. Cabotin à souhait, il est le personnage-clé qui nous permet de souffler dans les moments capitaux de la représentation.
Les références à notre époque sont également multiples dans cette pièce qui est beaucoup plus moderne qu’on le croit. Les spectateurs attentifs verront passer des allusions aux guerres incessantes de l’Occident envers le Moyen-Orient. L’Afghanistan vient particulièrement en tête. Tout ceci sans oublier la politique moderne trop axée sur le spectacle et l’image qui est accrochée au passage en dernière partie. Les phrases creuses de nos politiciens telles que «confiance» et «transparence» sont mises en valeur et le tout clôt parfaitement une pièce longue, mais salutaire. Québécois, à vos sièges !
Photo : Claude Gagnon
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