Au sein de l’empire des banques traditionnelles, d’irréductibles Gaulois rament à contre-courant au Québec. Ils font de la collectivisation de l’épargne leur figure de proue.
À l’heure où les grandes institutions financières canadiennes réalisent des milliards de profits chaque année, une petite banque alternative fait son chemin au Québec. Alors qu’elle était au départ une entité syndicale créée par la Confédération des syndicats nationaux (CSN) pour lutter contre l’endettement des travailleurs, la Caisse d’économie solidaire apparaît aujourd’hui à l’extrême gauche de l’univers des caisses populaires. Sa méthode consiste à transformer les ristournes individuelles en investissements collectifs.
S’affichant depuis toujours comme spécialisée en économie sociale et en investissement responsable, la Caisse affirme être à l’avant- garde dans ces domaines. «Pour nous, la banque n’est pas une fin, mais un moyen pour contribuer au développement de la société, croit le directeur général de l’institution, Marc Picard. Cette phrase est surréaliste pour un banquier traditionnel.» La caisse accepte seulement les clients qui ont les mêmes valeurs qu’elles, car le cycle de l’épargne ne s’arrête pas avec le compte de banque, selon le directeur. L’opposition aux institutions financières classiques est en effet une réalité pour le directeur en place depuis deux ans. Pour celui-ci, les grandes banques canadiennes n’ont tout simplement aucune conscience sociale. «Il y a des campagnes de dons et des campagnes, mais ça reste du social washing, souligne-t-il. D’un côté, on donne des peanuts à la société et de l’autre on investit dans les sables bitumineux.» Marc Picard est aussi virulent quand vient le temps de parler de démocratie, rappelant que la caisse tient son assemblée annuelle chaque année et qu’elle est ouverte à tous les membres.
«Les grandes banques ont une démocratie de façade, les actionnaires ne font pas leur job», énonce-t-il. Pour le directeur ayant fait carrière dans une corporation de développement économique communautaire, la valeur principale est en fait la socialisation de l’épargne. Dans ce procédé, les membres de la caisse renoncent à la ristourne mensuelle pour plutôt donner ce montant à la communauté. «L’idée est de collectiviser l’épargne pour la réalisation de projets communs», explique Marc Picard. Ces projets collectifs se manifestent de plusieurs façons pour l’institution. De syndiqués en lock-out en passant par une initiative écologique ou encore un projet artistique, la Caisse est souvent au rendez-vous. «En ce moment, c’est plus de 353 organisations culturelles qui sont financées, dont l’exemple du Théâtre de la Licorne qui nous rend très fiers», expose-t-il.
Changer de banque
Malgré ses nombreux investissements et ses 44 ans d’expérience, la Caisse d’économie solidaire n’a toutefois qu’un peu plus de 12 000 membres particuliers ainsi que 3000 entreprises. La direction croit que ce nombre est insuffisant, considérant que les grandes banques ont des millions de clients, par exemple la Banque Nationale qui en sert 2,4 millions, selon son rapport annuel. Pour le professeur de finance à l’UQAM, Jean-Pierre Gueyie, la socialisation de l’épargne attire peu de gens pour deux raisons très enracinées. «Tout d’abord nous ne sommes plus dans le Québec d’Alphonse Desjardins, l’épargne collective se développe surtout dans les pays émergents», souligne ce spécialiste de l’économie africaine. L’accès au crédit est devenu absolu dans notre société et rien n’incite les gens à épargner de manière responsable, selon lui. «Le deuxième grand facteur est l’individualisme, pense-t-il. Le compte de banque est quelque chose de très narcissique.»
Cette difficulté de convaincre les gens de changer de banque, le mouvement Occupons Montréal l’a vécue de plein fouet en octobre 2011. S’inspirant d’Occupy Wall Street, l’expérience montréalaise s’est heurtée à un mur lorsqu’elle a tenté de créer un mouvement de masse vers la Caisse d’économie solidaire. «On avait créé un site web sur le changement de banque et on comptait beaucoup sur l’effet que pourrait avoir une migration», raconte le militant, Philippe Lagüe. Le mouvement a été trop éphémère et la couverture médiatique insuffisante, estime- t-il. «On aimerait créer une journée annuelle dédiée au changement de banque, l’effet serait incroyable», croit le militant qui est resté sur le site d’Occupons Montréal jusqu’à la fin.
Main dans la main avec Desjardins
Par rapport aux liens qu’entretient la Caisse avec les autres institutions financières, Marc Picard reste prudent. Selon lui, il y a plus d’avantages que de désavantages au réseau Desjardins. «C’est sûr qu’il y a des pressions pour nous faire rentrer dans le rang, mais Desjardins nous offre une fenêtre sur toutes les régions», explique- t-il, en parlant des guichets automatiques et des comptoirs services. Cet accès aux régions éloignées est très important pour la Caisse puisque quelques milliers de ses membres se trouvent au Nunavik.
Pendant que la Caisse d’économie poursuit son travail à contre-courant, l’économie sociale s’installe au Québec. C’est 8% du produit intérieur brut qui serait généré par cette économie se situant entre le privé et le public, selon le chantier d’économie sociale. Pour Marc Picard, le Québec reste une société où le changement se fait très lentement. «L’investissement responsable est aussi rentable, voire plus que les autres types, expose-t-il. Le plus grand défi sera de fidéliser les gens à notre cause, et ce dès leur plus jeune âge.»
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