Manuscrits sans-abris

À l’ombre des grands de l’industrie québécoise, les écrivains en herbe cherchent un peu de lumière. Loin des salons littéraires et des présentoirs de librairie, publier un premier livre reste un défi pour de nombreux néophytes.

William Lessard compte les jours. Approché par La Mèche, une petite maison d’édition sise dans le Mile-End, son premier recueil de nouvelles sera officiellement lancé le 21 octobre prochain. «Ça a toujours fait partie de ma vie, c’est une étape inévitable que de passer par un éditeur pour faire partie du monde littéraire», lance-t-il. Chaque année, quelque 4 000 livres sont publiés au Québec selon l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). De ce nombre, une fraction seulement est l’œuvred’écrivains qui en sont à leur première parution.

Le risqueassocié à la publication d’une première œuvreest trop grand pour de nombreuses maisons d’édition qui les mettent ainsi de côté. En comptant la correction, le graphisme et l’impression, les coûts de production d’un ouvrage peuvent facilement atteindre une dizaine de milliers de dollars. «C’est un gros risque et on sait aussi qu’on va perdre de l’argent. Alors, quand on choisi un nouvel auteur, c’est qu’on y croit», admet la présidente de l’ANEL, Nicole Saint-Jean. Le tirage d’un premier livre tourne en général autour de 300 copies au Québec, dont 10 % du revenu des ventes iront à l’auteur, un contexte qui en laisse plusieurs sur la paille. «Si je réussis à me faire 200 dollars c’est déjà bien», rigole William Lessard.

Déjà initié au monde de la publication, le jeune écrivain se compte chanceux d’y avoir mis les pieds grâce à certains de ses contacts. Également professeur de littérature au collégial, il compte d’abord sur cet emploi stable pour gagner sa vie, un parcours fréquent chez les auteurs québécois. Dans sa situation, vivre de l’écriture reste pour lui un rêve. «C’est le médium qui me convient le plus pour exprimer ma vision des choses. Je ne souhaite pas nécessairement divertir même si je sais que ça vend mieux», décrit-il, cynique.

D’autres maisons d’édition gardent de la place pour de jeunes auteurs émergents. À La Peuplade, maison d’édition spécialisée dans la poésie et la nouvelle, ilssont essentiels. «On est toujours à la recherche de nouveaux auteurs, mais la porte est de moins en moinsouverte», illustre Mylène Bouchard, directrice générale et littéraire. Alors que La Peuplade publiait davantage de premiers livres à sa naissance il y a de cela huit ans, la fidélité de certains de ses auteurs laisse moins de place aux nouveaux venus. Selon elle, plus les maisons d’édition gagnent en expérience et en notoriété, plus elles seront portées à travailler avec des auteurs fidèlesau détriment de la relève.

Même après la publication d’un premier livre, vivre de sa plume reste encore une utopie au Québec. Outre quelques grands noms très connus, la grande majorité des écrivains se contentent de beaucoup moins que du salaire minimum, compte tenu des heures qu’ils consacrent à l’écriture. Selon l’Union nationale des écrivains (UNEQ), le revenu médian annuel d’un auteur québécois est de 2 450 dollars.Et encore, seuls certains genres littéraires peuvent aspirer aux palmarès et procurer à leurs auteurs des revenus substantiels, critique Nicole Saint-Jean. «Ce qui se vend, c’est du roman populaire, Bryan Perro, Anne Robillard», explique-t-elle.

 

Se donner les moyens

Pour mettre toutes les chances de son côté, différentes méthodes peuvent être employées pour caser son premier livre. D’abord, tous s’entendent sur la nécessité de bien choisir les maisons d’édition où le texte est expédié. «Envoyer son manuscrit à une maison d’édition qui ne nous correspond pas, ça laisse l’impression qu’on n’est pas sérieux», croit William Lessard. Avec près de 100 maisons d’éditionmembres de l’ANEL austyle et à la ligne éditoriale différents, l’importance de magasiner son éditeur prend tout son sens. «On voit ça d’un bon œil lorsqu’on reçoit un récit car ça démontre un intérêt pour la maison d’édition. Ça peut faire la différence», commente Mylène Bouchard. Elle va même jusqu’à affirmer que c’est une démarche qui devrait être enseignée à l’université.

Une fois la maison choisie, l’implication de l’auteur dans la promotion de son livre constitue un argument de vente majeur auprès des éditeurs, selon Nicole Saint-Jean. «Il y a beaucoup d’auteurs qui considèrent que leur livre devrait se vendre de lui-même alors que ce n’est pas le cas», se désole-t-elle. Salons du livre, présence sur les médias sociaux, les opportunités sont nombreuses. «Les gens ont le goût de connaître cette personne derrière les pages du livre qui les captive tant», insiste-t-elle. Mylène Bouchard, pour sa part, croit qu’une participation accrue d’un auteur à la commercialisation de son livre assure une certaine longévité à ses œuvres, mais elle craint que cela ne devienne une obligation. «C’est pas tout le monde qui est fait pour ça. Ne peut-on pas juste écrire?»

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *