Celles qui n’ont pas besoin de féminisme

Nouvelle mode sur le web, le mouvement antiféministe gagne de plus en plus de voix. Loin d’être un phénomène neuf, la désolidarisation publique des jeunes femmes est propre à l’ère de l’Internet.

Tout sourire devant l’appareil photo de son ordinateur, une adolescente tient fièrement un signe où elle a écrit «Je n’ai pas besoin du féminisme, parce que je ne suis pas une stupide manipulatrice qui joue à la victime». L’image a été partagée sur les réseaux sociaux des milliers de fois et cause de vives réactions de la part des internautes. Chaque jour, des dizaines de jeunes américaines, anglaises et françaises publient des photos semblables pour décrire leurs propres raisons d’être antiféministes. Au Québec, si le mouvement peine à s’incruster, le féminisme est tout de même délaissé par de nombreuses femmes qui ne se reconnaissent plus dans ses valeurs actuelles.

La directrice de l’Institut de recherche en études féministes (IREF), Rachel Chagnon est peu surprise lorsqu’elle navigue parmi les centaines d’images virales aux propos antiféministes. «Il ne faut pas dramatiser la situation. Le féminisme a toujours eu mauvaise presse», assure la professeure. D’après elle, l’intolérance est à la mode depuis les revendications des groupes sociaux des années 1960 à 1970. «Il n’est pas bien vu d’être raciste, homophobe ou antisémite, mais être antiféministe, ce n’est pas si pire», ajoute-t-elle. D’après elle, l’émergence du web et la garantie d’anonymat des internautes créent une plateforme où la haine envers les féministes et la violence contre les femmes sont encouragées.

«C’est très profondément ancré dans les mentalités que le féminisme est laid et qu’une fille se déclarant féministe n’aura pas de vie sexuelle et qu’elle est lesbienne. Ces idées là font en sorte que les jeunes filles veulent à tout prix se détacher du mouvement», ajoute la directrice de l’IREF. Selon elle, la mobilisation de plusieurs jeunes femmes antiféministes s’explique par la perception négative du mouvement, et non dans ses principes. Étudiante en massothérapie et mère de quatre enfants, Lola Laliberté n’est pas d’accord avec l’explication de Rachel Chagnon. Si elle se pense antiféministe, c’est parce qu’elle ne se reconnaît plus dans le féminisme actuel. «Je trouve que la femme d’aujourd’hui rabaisse l’homme, affirme-t-elle. Si on regarde à la télévision, l’homme passe tout le temps pour un faible. La femme agit comme un homme et il n’y a plus de féminité, plus de séduction.» Elle reconnaît que l’égalité entre les genres n’a pas été atteinte pour l’échelle salariale, mais elle ne ressent pas le besoin de s’identifier comme féministe pour faire reconnaître ses droits. «Je suis bien avec moi-même, je ne suis pas en compétition contre personne», explique-t-elle.

Pour la membre du Comité femmes de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), Jeanne Reynolds, le féminisme est une lutte de classes. «Il existe une hiérarchie sociale, des inégalités structurelles qui font en sorte qu’en tant que femme on vit des injustices comme la violence sexuelle, institutionnelle, et bien plus.» Jeanne Reynolds a du mal à accepter des prises de position comme celles de Lola Laliberté. «Voir une jeune femme se déclarer antiféministe encourage les réactions de haine envers le féminisme.» Selon elle, plus le mouvement est populaire, plus les contestations seront nombreuses. Il ne faut donc pas s’étonner de la montée des propos antiféministes au Québec à la suite de «l’événement récent qui a mobilisé le plus de féministes, la grève étudiante de 2012», selon l’ancienne porte-parole.

La militante de l’ASSÉ préfère ne pas accorder trop d’importance aux réseaux sociaux et reste convaincue que le progrès en féminisme passera par le terrain. «Ce qui se passe sur les réseaux sociaux ne change pas le quotidien», déclare-t-elle. Selon elle, il ne faut pas concentrer notre attention sur le mouvement antiféministe devenu viral. «C’est sûr qu’on peut dire qu’on voit beaucoup plus de réactions contre le féminisme à cause du web, mais je pense qu’il reste une partie encore très privée au sexisme. Une violence quotidienne qu’on ne remarque pas, parce qu’elle est passée sous silence», conclut-elle.

Rachel Chagnon est convaincue qu’Internet est aussi propice aux discussions et à la formation de communautés de pensées qui permettent de débattre de façon saine sur la question du féminisme actuel. «Je suis très enthousiaste pour les jeunes femmes qui s’expriment sur les réseaux sociaux. Ils leur permettent de vivre leur propre féminisme». Comme tout mouvement viral, «Je n’ai pas besoin du féminisme» soulève des opinions mitigées. En réponse, le groupe «J’ai besoin du féminisme» gagne aussi en popularité à chaque jour sur la toile.

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