Les consommateurs désertent les boutiques au profit du commerce virtuel pour leurs achats des Fêtes. En retard sur le marché international et mal équipés, les commerçants québécois peinent à tirer leur épingle du jeu.
Des centres d’achats pleins à craquer, des files d’attentes interminables, peu de places de stationnement. Pour plusieurs, faire les courses du temps des Fêtes est devenu un véritable cauchemar. De plus en plus de Québécois se tournent vers les sites de vente en ligne pour acheter leurs cadeaux de Noël. En revanche, les marchands de la province sont peu nombreux à suivre la vague du e-commerce.
«Les commerçants québécois tardent à implanter des sites Web transactionnels, déplore la professeure en marketing à l’UQAM, Manon Arcand. La moitié des détaillants ont des sites Internet, mais uniquement un sur huit comporte une boutique en ligne». Pourtant, magasiner sur le Web est de plus en plus populaire chez les Québécois. Au courant de l’année 2012 – 2013, un adulte sur deux a acheté sur un site transactionnel, dont un sur quatre au cours du mois précédent l’enquête, selon un récent sondage du Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO).
Selon la professeure, le retard des commerçants d’ici est dû à un manque de temps, d’expertise et d’argent. «L’entrepreneur moyen vieillit, ce qui explique peut-être qu’il soit moins à l’aise avec les nouvelles technologies», suggère-t-elle. Les lacunes du e-commerce québécois poussent beaucoup de consommateurs à acheter sur des sites internationaux. Le montant total dépensé sur des sites québécois est évalué à seulement 28 % de la somme totale dépensée en ligne. «On a vraiment du retard sur les autres pays, comme les États-Unis et la France, parce qu’il n’y a pas assez d’offre», remarque Manon Arcand.
Délaissés par les consommateurs, les boutiques locales sont celles qui souffrent le plus de la montée de la vente en ligne. Certaines catégories de produits sont plus touchées que d’autres. L’industrie locale du livre est particulièrement affectée par cette nouvelle réalité. «Ce serait mentir de dire que de petits commerces n’ont pas fait faillite ou ne sont pas touchés par certains sites comme Amazon», admet Manon Arcand. Renaud-Bray est l’un des rares magasins précurseurs de la vente en ligne au Québec. Le président-directeur de la librairie, Blaise Renaud, est conscient malgré tout que le défi est grand pour un petit commerce qui implante une boutique sur son site Web. Selon lui, outre l’aspect financier, le principal défi d’un détaillant est de tenir ses promesses aux consommateurs. «Les clients s’attendent à recevoir ce qu’ils ont commandé dans un délai raisonnable et à recevoir la bonne commande, surtout quand il s’agit d’un cadeau de Noël», souligne-t-il.
La chargée de projet Web aux métiers d’arts, Matilde Perrusclet, rappelle que le Conseil des métiers d’arts du Québec a ouvert une boutique en ligne en novembre dernier afin de faire connaître ses artisans. Une initiative qui permet du même coup de promouvoir le Salon des métiers d’arts, qui a lieu juste avant les Fêtes. Elle reconnaît que la création d’un site transactionnel demande beaucoup de temps et des connaissances particulières. «Un artisan seul avec son site Web n’a pas nécessairement le budget requis pour faire de la publicité ni suffisamment d’inventaire pour répondre à la demande, lance la chargée de projet. Notre site permet de réunir les artisans pour leur offrir un maximum de visibilité, notamment en présentant leur biographie et leur portrait.» Les artistes peuvent donc augmenter leurs ventes sans avoir à gérer la livraison, les quantités en inventaires ou les paiements.
Plus la période des Fêtes approche, plus la popularité des boutiques en ligne augmente. Le professeur au Département de marketing de l’UQAM et spécialiste en commerce électronique, Harold Boeck, souligne que les gens, souvent à la dernière minute, ont de moins en moins le temps de magasiner leurs cadeaux de Noël. «Acheter en ligne est facile. Tu sais si le produit que tu cherches est disponible, on te garantit que tu vas le recevoir et tu n’es pas obligé d’aller sur place pour trouver ce que tu veux», fait-il valoir. Selon un sondage réalisé en novembre par Vision Critical, les Québécois dépenseront cette année en moyenne 184$ en ligne pour leurs achats des Fêtes. «Je pense que le Québécois moyen est prêt à acheter québécois, déclare Manon Arcand. Ce n’est peut-être pas leur premier critère de sélection, puisque l’argent entre aussi ligne de compte, mais ils veulent acheter local pourvu qu’on leur offre ce qu’ils cherchent.» En raison de leur réalité culturelle et linguistique, on ne peut pas entièrement blâmer les détaillants provinciaux de ne pas suffisamment répondre à la demande des acheteurs, estime Harold Boeck. «Si tu as un commerce au Québec qui offre un service francophone, le bassin de consommateurs que tu rejoins est plus limité, lance le professeur. Les commerçants font ce qu’ils peuvent avec le marché qu’ils ont.»
Pour plusieurs consommateurs, le magasinage de Noël en ligne est déjà bien entamé. Harold Boeck croit que les marchands qui ne sont pas au rendez-vous cette année n’auront pas le choix, tôt ou tard, de s’ajuster au nouveau marché du e-commerce. «Comme pour toute innovation, les règles du marché évoluent, affirme-t-il. Les commerçants vont devoir s’adapter.»
Crédit photo: Flickr
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