Inquiets de voir la société prise d’assaut par les idéologies d’extrême droite, les redskins montent la garde aux côtés de groupes antifascistes. Anonymes, ces militants de champ gauche guettent le moindre progrès de leurs ennemis.
À la sortie des bars, Étienne*, membre du groupe Reds and Anarchists Skinheads (RASH) de Montréal, jette un coup d’œil aux alentours, prêt à croiser le regard d’un bonehead. Patrouilleurs de toutes les tribunes, les militants du RASH se font les gardiens de la gauche, prêts à brandir le poing contre leurs opposants fascistes, racistes et homophobes. À même la rue, ils imposent une résistance contre les boneheads, des skins d’extrême droite. Dans l’ombre, ces défenseurs de l’antifascisme et de l’antiracisme font tomber les préjugés et veillent au grain.
«Pour les redskins, Lucien Bouchard est un ennemi autant que le bonehead qui fait des graffitis haineux», explique Étienne. Les redskins, issus de la culture skinhead, prennent part à la lutte étendue de la mouvance antifasciste ou antifa, pour les initiés. «Tous les moyens sont bons pour combattre le fascisme», lance Étienne, amusé. Le RASH fait la promotion d’une contre- culture antifasciste, antiraciste, féministe et anticapitaliste. Armé de son magazine Casse Sociale, le groupe fait la promotion de son mode de vie dans les rassemblements et les concerts. «On essaie de politiser les milieux hardcore, reggae, punk», explique Julie*, également militante du RASH Montréal.
La lutte initiale des redskins s’articulait d’ailleurs autour de ces mouvements de contre-culture. «Lorsque l’extrême droite s’est emparée du mouvement skinhead dans les années 70 en Angleterre, l’antifascisme s’est organisé», raconte le spécialiste des mouvements sociaux, Marc-André Cyr. Aujourd’hui, ces groupes militants ne sont pas très populeux, ajoute-t-il. Même s’ils ne sont pas nombreux, c’est la force de la conviction bien plus que la quantité de militants qui importe. «Ce ne sont pas des organisations de masse. Pour être dans un groupe antifasciste, il faut assumer 24 heures sur 24 qu’on est en guerre.» D’après Étienne, si les redskins initient les groupes underground à leurs idées progressistes, les militants de droite vont «frapper un mur» lorsqu’ils essaieront de s’y immiscer.
Le nombre de boneheads est presqu’à zéro depuis l’arrivée du RASH à Montréal il y a vingt ans, raconte Étienne. Malgré tout, les redskins affichent une résistance aux endroits les plus sensibles de la métropole. «Si des homosexuels se sont fait battre dans le quartier gay, des redskins vont aller traîner dans le coin, fait savoir Julie. Quand les néo-nazis, qui ne sont pas nécessairement des boneheads, organisent des évènements, on réplique en manifestant et ça peut aller jusqu’à la confrontation directe.»
Traqués tant par les policiers que par les boneheads, les redskins et les antifascistes agissent dans l’anonymat. «Il peut y avoir des règlements de compte, des vengeances par des groupes violents, explique Simon*, l’un des administrateurs de la page Facebook Facho Watch. Mais on ne peut pas comparer la situation d’aujourd’hui avec celle des années 80 où il y avait beaucoup de groupes qui se tapaient sur la gueule.» Étienne et Julie avouent surveiller leurs arrières, mais craignent rarement pour leur sécurité. «En ce moment, le rapport de force n’est pas en leur faveur, explique-t-elle. Si je me fais péter la gueule, ils vont avoir plus de trouble en retour.»
Dans la lutte antifasciste, seuls les redskins appartiennent à la culture skinhead, rappelle Marc-André Cyr. «Ils sont souvent très bien habillés, il y a un esprit de dignité autour de cette idéologie», indique-t-il. Julie, vêtue d’une veste Adidas, rigole devant ce stéréotype. «C’est vrai qu’il y a un aspect de coquetterie, pour rappeler que la classe ouvrière est noble, admet Étienne. C’est comme dans toutes les contre-cultures, chacune a son style.»
Information sensible
Comme plusieurs groupes exclusivement actifs sur le Web, le collectif Anti Racist Canada (ARC) a pour mission de publier une partie de l’information qu’elle récolte sur les membres de groupes racistes. Pour l’ARC, le but est plutôt d’avertir la population de la présence de néo-nazis dans leur communauté. «Considérant les dangers potentiels de leurs actions, comme des lancers de cocktails Molotov et des tentatives de meurtre, nous pensons que le public a le droit de savoir», martèle l’administrateur du site. Si leurs membres participent aux protestations, ils le font en tant qu’individus, ajoute-t-il. Sur des sites Internet aux allures clandestines et des pages Facebook, de véritables banques de données classifient des organisations et leurs membres à surveiller. «Ils font de la recherche sur les groupes à l’année longue, affirme Marc-André Cyr. Ils sont souvent mieux informés que les journalistes.»
Fort de son expérience sur les sites Internet des groupes ennemis, Simon remarque que leur démantèlement n’est pas toujours la bonne solution. «Il faut pouvoir suivre les organisations. Et de toute manière, après leur dissolution, il se reforme toujours un groupe informel.» Du côté du RASH, la surveillance vise davantage les individus que les organisations. Pour les redskins, mieux vaut diviser pour mieux régner.
*noms fictifs
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