C’était l’automne dernier. Ma prédécesseure larguait une tirade «antivieux» dans cette même colonne. Sarcastique à souhait, elle dépeignait une société insensible à ses aînés. La franche ironie de ses propos, à la limite de la grossièreté, en a choqué plusieurs — moi le premier. «Mon vieux s’invite dans mon horaire comme un ver blanc dans le fumier», pouvait-on lire. Aïe, cette vérité qui fait mal.
Parlez-en à ceux qui m’entourent, la simple idée de vieillir m’arrache une expression de répugnance. Les faits rapportés par l’article Trisomie 55 et la réaction du gouvernement qui y est citée me forcent à y réfléchir malgré mon aversion pour le sujet.
Dans le chaos bureaucratique du ministère de la Santé, les piles de dossiers s’entassent. Parmi eux, celui des personnes âgées atteintes de trisomie 21. Ces délaissés parmi les oubliés. Les progrès médicaux leur ont donné le luxe de pouvoir vieillir… Mais calmez-vous les rides, tout semble aller trop vite pour le système de santé québécois. Manque de ressources, carence en formation pour les professionnels de la santé, pénurie d’établissements spécialisés. C’est la famine en terre de l’âge d’or.
Notre journaliste a questionné la responsable du Ministère afin de connaître le plan du gouvernement à ce sujet. La réponse officielle frôle l’absurdité. «Du point de vue du ministère de la Santé, on considère ces gens-là comme des personnes âgées habituelles», lui a-t-on répondu. Erreur d’une relationniste malhabile ou inconscience institutionnalisée? Je n’en sais rien, mais ça demeure une réponse honteuse. Une carte de l’âge d’or pour tout le monde; tous les aînés jetés dans le même panier. La belle idée.
Si une personne âgée «habituelle» requiert des soins de santé de qualité, un individu atteint de trisomie 21 en nécessite deux fois plus. En vieillissant, ces jeunes de cœur perdront leurs aidants naturels. À 70 ans, pour un aîné avec une saine santé mentale, c’est la vie qui suit tristement son cours. Pour celui atteint de trisomie 21, c’est la fin du monde, la perte de tous ses repères. Et il faudrait le traiter de façon égale?
Claire Morin est atteinte du cancer. Son frère de 44 ans a la trisomie 21. Son appréhension est grande: celle de laisser son frérot seul derrière elle. Qui s’en occupera si elle part avant lui? La réponse flotte encore dans l’air. Confrontée pour la première fois à une vague de personnes âgées atteintes de cette maladie, même la directrice de l’Association de Montréal pour la déficience intellectuelle affirme avancer à l’aveuglette. Le fait d’en avoir conscience est déjà un bon pas en avant, une enjambée que le ministère de la Santé tarde à réaliser.
Les priorités en matière de soins aux aînés semblent entre-mêlées. Le Québec est en voie d’instaurer l’aide médicale à mourir. Une initiative pleinement valable, mais paradoxale à la lecture de cet article. Alors qu’on argumente sur les modalités d’une mort digne, la réflexion sur la façon de mieux faire vivre semble stagner. Ma collègue avait sans doute raison. Si la peur de vieillir m’habite à ce point, c’est probablement parce que ma société ne m’en donne pas vraiment le goût.
Louis-Philippe Bourdeau
Chef de pupitre Société
societe.campus@uqam.ca
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