Virage à droite

Le travail politique d’Adrien Pouliot s’effectue en coulisses depuis des années. Il sort aujourd’hui de l’ombre pour prendre les rênes de la droite québécoise.

Dans un granadrien-pouliot2d auditorium de l’Université de Montréal, deux rivaux politiques s’affrontent dans un débat organisé par des étudiants : à gauche du ring, Jean-Martin Aussant, chef du parti Option nationale, et à droite, Adrien Pouliot, le nouveau chef du Parti conservateur du Québec. Debout derrière son trépied, les jambes clouées au sol, Adrien Pouliot gesticule abondamment. S’il n’attise
pas les foules, il n’a pas peur de foncer pour défendre ses idées, ce qui l’a poussé à prendre les commandes de la droite au Québec.

Diplômé en droit à l’Université de Sherbrooke, Adrien Pouliot a été à la tête de nombreuses entreprises québécoises, dont le réseau de Télévision Quatre Saisons (TQS) et Capital Draco Inc.,
où il est toujours en poste. En 1999, il fonde avec des amis l’Institut économique de Montréal, un lobby économique de droite. Il a été le vice-président de la commission politique de l’Action démocratique du Québec (ADQ) en 2011 jusqu’à la fusion du parti avec la Coalition Avenir Québec (CAQ). Il a ensuite tenté de convaincre, en vain, les trois candidats à la chefferie du Parti libéral du Québec de faire un virage à droite. Ses solutions épuisées, il est sorti de l’ombre et a été élu comme chef du Parti conservateur du Québec en février dernier.

Adrien Pouliot a une âme entreprenante. À l’âge de dix ans, il obtient par lui-même un poste de figurant dans une émission pour enfants. «J’avais vu à la télévision une annonce d’émission qui disait recruter des figurants. J’ai appelé la station sans le dire à mon père, je suis allé à l’entrevue, puis j’ai passé un hiver à jouer une petite créature, un espèce de petit dinosaure avec un costume », raconte-t-il en imitant son personnage, le dos courbé et les doigts menus de griffes.

C’est avec le sourire aux lèvres qu’Adrien Pouliot replonge dans chaque anecdote et dans chaque souvenir d’enfance. «Chez nous, on était cinq frères. On parlait autant l’anglais que le français.» Son père a travaillé en Ontario pendant quelques années. Ses deux frères aînés ont donc fréquenté l’école anglaise. Lui est né à Ottawa, mais a étudié au Québec dans des écoles francophones. Plusieurs décennies plus tard, le bilinguisme reste quelque chose de très important aux yeux du politicien. «Ce que je voudrais, c’est des Québécois bilingues dans un Québec français.» Il rejette les théories qui montrent que le français est en déclin au Québec. «On peut faire dire aux chiffres presque n’importe quoi!» lance-t-il en gesticulant. Il accuse certains partis politiques d’utiliser la crainte de la disparition de la langue français à des fins politiques. À ses yeux, les anglophones reconnaissent facilement que le français est la langue d’usage au Québec. Il enlève ses lunettes rectangulaires, les dépose dans sa chevelure grisonnante, puis poursuit.

«Ça ne m’est jamais arrivé de ne pas être capable de me faire servir en français dans un restaurant ou dans un magasin», affirme-t-il, l’air surpris que des commerçants soient assez «idiots» pour engager des unilingues anglophones. Il s’oppose fermement au projet de loi 14 du gouvernement Marois, qui prévoit endurcir la Charte de la langue française, ce qui lui attire des fleurs de la communauté anglophone. «Je pense que le projet de loi 14 nous ouvre une opportunité inespérée de rejoindre la communauté anglophone, admet-il. C’est une clientèle, des électeurs, qui nous intéresse.»

Un «nouveau» parti

Dès qu’Adrien Pouliot entend parler du Parti conservateur du Canada, il pince les lèvres et s’en dissocie. «Plusieurs peuvent être effrayés par le mot “conservateur” dans le nom de notre parti. Mais on parle de conservatisme fiscal. Le coté anti-avortement, antigay, je n’adhère pas à ça. Je suis en faveur des libertés individuelles, donc le mariage gay, je n’ai rien contre ça.» S’il ne s’était pas impliqué au Parti conservateur du Québec avant, c’était justement parce que l’équipe de l’ancien chef, Luc Harvey, adhérait à ce conservatisme moral. «Quand je suis devenu chef, on a tout évacué les idées de droite morale.» Il précise que toute «l’ancienne gang» est partie. Seuls les anciens adéquistes mécontents de la fusion de l’ADQ avec la CAQ sont restés. Adrien Pouliot partage tout de même certaines idées du Parti conservateur du Canada, appuyant l’exploitation des sables bitumineux et l’abolition du registre des armes à feu.

S’il n’a pas le charisme d’autres chefs de parti, Adrien Pouliot espère convaincre ses nouveaux «clients» avec ses idées de droite économique. «Je suis capable d’expliquer tout ça de façon simple. J’essaie d’avoir un discours crédible et convaincant.» Il admire le chemin parcouru par son rival de gauche, Jean-Martin Aussant. «Quand je regarde monsieur Aussant et son parti, je trouve que c’est assez extraordinaire qu’il ait ramassé en quelques mois un pourcentage de votes intéressant. Ça montre que c’est possible.»

Adrien Pouliot reste patient. Celui qui a longtemps oeuvré en arrière-plan espère, avec le temps, amener son parti au premier plan du paysage politique québécois. «On va pédaler vite, mais pour moi ce n’est pas un sprint, c’est un marathon.»

Photos: Josni Bélanger

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