Les fourneaux chauffent. Le mercure monte. Le débat en vue d’instaurer une soupe populaire à l’UQAM s’enflamme de nouveau entre un groupe d’étudiants et la direction.
24 janvier, 18 h. La file d’attente s’étire. L’appel du Ras-le-bol, une initiative d’étudiants de l’UQAM qui revendique l’instauration d’une soupe populaire entre les murs de l’Université, a été entendu. Au deuxième étage du pavillon Judith-Jasmin, environ 150 personnes attendent de se faire servir gratuitement un repas chaud. Tables pliantes, bacs à vaisselle en plastique et quelques chaudrons ; l’installation est visiblement bancale. À quelques mètres derrière eux, une cuisine inutilisée depuis dix ans attire les convoitises. La direction de l’Université refuse de leur céder l’ancienne cafétéria et s’inquiète des impacts qu’engendrerait la réalisation du projet de ces Robin des bois culinaires.
Porte-voix à la main, Alexandre Beaudry, une des têtes pensantes du projet, a profité de l’événement pour lancer un avertissement à l’administration de l’UQAM. «Si vous ne voulez pas avoir de la tension sur votre campus, cette cuisine-là on veut l’avoir cette année avec votre accord ou non», s’époumone-t-il, manifestement indigné. Le discours achevé, l’étudiant à la maîtrise en science politique adopte un ton plus posé. Le principe directeur du Ras-le-bol n’est pas de confronter l’Université, assure-t-il, mais plutôt de soutenir les étudiants dans le besoin en luttant contre l’insécurité alimentaire. Selon les données de Moisson Montréal, le nombre d’étudiants ayant sollicité de la nourriture de l’organisme a triplé en 2011. «Après, on se fait dire par l’administration que l’instauration d’une soupe populaire n’est pas nécessaire», rétorque-t-il en rappelant que plusieurs initiatives semblables ont été refusées par l’UQAM dans le passé.
Vérifications faites auprès de l’Université, la cuisine réclamée a déjà fait l’objet de plusieurs demandes. Tous les projets se sont butés à une fin de non-recevoir. Le Plan directeur immobilier de l’établissement prévoit plutôt de remplacer l’ancienne cafétéria par un espace d’étude. La directrice intérimaire des relations de presse à l’UQAM, Jenny Desrochers, confirme que l’ancienne cafétéria sera démantelée d’ici 2016. «Elle n’est plus utilisée depuis plusieurs années, ce n’est plus conforme aux lois, souligne-t-elle. On n’a pas les moyens de remettre ça à jour, ce n’est pas non plus dans nos objectifs.» Le contrôle de la salubrité d’une future cuisine populaire inquiète également l’administration, car la distribution alimentaire implique des normes sanitaires strictes. En ce sens, les Services alimentaires de l’UQAM se réserve l’exclusivité de distribuer des repas chauds. En contrepartie, des ententes avec les cafés étudiants ont été conclues afin de leur permettre de servir des sandwichs et autres aliments froids. Toutefois, ces produits ne doivent pas être vendus à moins de 15% du prix affiché par les Services alimentaires.
Conscient de la désuétude des installations réclamées, le Ras-le-bol ne tient toutefois pas à reléguer la facture à l’Université. «Avec l’aide de différents syndicats et de Moisson Montréal, je crois qu’on peut être capables de mettre sur pied un environnement que l’UQAM considérera comme adéquat», allègue Alexandre Beaudry. Au plan administratif, aucune demande formelle n’a cependant été déposée. Aux Services alimentaires de l’UQAM, aux Services à la vie étudiante (SVE) et du côté de l’administration, le projet Ras-le-bol reste flou. Jenny Desrochers assure que le groupe n’a jamais pris contact avec eux afin de discuter de l’éventualité d’un tel projet. «Ils n’ont jamais fait de demande, on ne sait pas ce qu’ils veulent précisément. On ne sait pas de quoi il s’agit.»
Appréhendant des dédales administratifs de plusieurs années, les étudiants du Ras-le-bol tardent volontairement à établir le dialogue. Alexandre Beaudry craint qu’une telle démarche se termine comme celle entamée, il y un peu plus d’un an, par le Groupe de recherche d’intérêt public de l’UQAM (GRIP). À l’automne 2011, le Collectif étudiant à la transformation alimentaire communautaire et écologique (CETACE), un comité du GRIP, a informé les SVE de leur intention d’offrir de façon récurrente des repas chauds dans l’enceinte universitaire. Préoccupée du non-respect de plusieurs règlements internes et de la concurrence que cela pourrait générer, la directrice adjointe à la direction du SVE, Josée Fortin, n’avait pas tardé à réagir. Dans un courriel, daté du 11 octobre 2011, elle sommait le GRIP de renoncer au projet sous peine de perdre leur statut de groupe d’envergure. «S’il y avait déjà une fermeture de l’UQAM, on voyait mal comment tout d’un coup en 2013, ils ouvriraient de grand cœur cette espace-là», conclut Alexandre Beaudry. Autrefois rattaché au CETACE, le projet Ras-le-bol est désormais autonome. Suite à des discussions internes, le groupe n’est plus relié à aucun groupe officiel de l’UQAM.
Autres universités, autres recettes
Avec le People’s Potato, à Concordia, et le Midnight Kitchen, à McGill, l’UQAM fait bande à part. Grâce à la cotisation étudiante variant entre 25 et 36 sous par crédit universitaire, la soupe populaire de l’Université Concordia gère un budget annuel de plus de 200 000 $. Campés dans une cuisine squattée depuis 13 ans, les employés et bénévoles servent 400 repas quotidiennement. Une de ses membres, Gaby Pedicelli, ne s’étonne pas de la réaction de l’administration de l’UQAM. «Ils ne vont pas aimer ça, c’est certain. Regardez-nous, on leur retire des centaines de clients par semaine et croyez-moi, ils ne nous ont pas appréciés sur le coup.» Le projet est aujourd’hui toléré, même si celui-ci reste contraire aux règles de l’institution. «Ils n’ont jamais essayé de nous jeter à la porte. Ce serait la révolte s’ils essayaient», ricane la cuisinière.
L’Université Concordia engage en sous-traitance la compagnie Chartwell afin qu’elle se charge de la distribution alimentaire sur son campus. La situation à l’UQAM est différente, alors que les services de cafétéria sont institutionnels. La sortie récente du Syndicat des employées et employés de l’UQAM (SEUQAM) confirme la crainte soulevée par le projet. Selon eux, si les ventes venaient à manquer, l’Université n’aurait d’autres choix que de couper des emplois. «Ceux et celles qui seront touchés par ces initiatives ne sont ni des cadres, encore moins des membres de la direction : ce sont des employées et employés de soutien», peut-on lire dans un communiqué émis le 23 janvier 2013.
Avec un menu végétalien, Alexandre Beaudry considère que le Ras-le-bol n’ira pas piétiner le terrain du service alimentaire de l’UQAM. «Les gens qui vont être nourris par ce projet ne sont pas les mêmes personnes qui vont aller débourser un 10 $ pour un repas quotidien à la cafétéria», se défend-il. Un compromis n’est pas à prévoir au menu, car ni l’UQAM, ni le Ras-le-bol n’est pour le moment enclin à s’asseoir à la table de discussion.
Illustrations: Lisa Traversy
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