Le pragmatisme

«Pragmatique». Voilà la nouvelle allégeance à la mode telle que proposée par le grand écartiste de la Coalition Avenir Québec François Legault. Il répondait ainsi à Dany Laferrière, qui lui demandait, autour de la table de Tout le monde en parle, s’il se définissait à gauche ou à droite. «Si vous n’êtes ni l’un ni l’autre, alors on pensera que vous êtes de droite», l’a averti le romancier dictionnarisé. Juste avant, le caquiste avait pourtant offert un cours simple et gratuit aux Québécois sur la géographie politique. Je paraphrase, parce que je n’ai pas tellement envie de me retaper l’épisode, et déjà qu’il caille dehors, je ne veux pas mourir frigorifié devant mon écran: «Je propose d’investir dans l’éducation, est-ce que c’est de droite ça?» Ouch. Tant qu’à faire dans la caricature, Hitler a dilapidé des sommes colossales pour instaurer des centres d’éducation surveillée et des écoles du parti, sans pour autant s’attirer la sympathie des marxistes, parmi les pionniers de la résistance nazie.

«Pragmatique» et «Sophiste»: voilà que les allégeances se précisent.

Cela pour dire qu’un parti peut très bien investir dans l’éducation sans égard aux orientations. Surtout quand il se montre ensuite favorable au dégel des frais de scolarité postsecondaires. M. Legault s’étonnera qu’on puisse acheter de la salade verte et des épinards sans nécessairement être végétarien.

Cela pour dire (bis) que la plus grande force des caquistes, qui alimente d’ailleurs ma plus grande crainte, réside dans le même procédé fédérateur que les indignés: l’ubiquité. Ni à droite, ni à gauche, ni au Québec, ni au Canada, ni à Québec, ni à Montréal, ni en ville, ni en région, ni dans le schiste, ni dans le refus du schiste, mais un peu partout à la fois. Avec des orientations et une vision de l’utopie diamétralement opposée, autant le mouvement que le parti ont compris l’efficacité du sur mesure. À tel point qu’il m’arrive d’écouter le caquiste caqueter ses non-positions pendant une seconde, deux secondes, cinq minutes… «Merde, réveille-toi, un peu plus et tu prends ta carte du parti!» que je me dis.

Mon coloc arrive. «C’est trop d’la merde, hein?»

Fiou, sauvé. «D’la merde, tu veux rire, pire que ça!»

Je déconne, bien sûr, mais le million d’électeurs qui choisiront la CAQ, eux, ne déconneront pas. Et ils ne voteront pas pour la gauche ou la droite, mais pour l’extrême-centre de François Legault, parce qu’ils auront du mal à être en désaccord avec à peu près tout, parce qu’à peu près tout sera énoncé avec une imprécision chirurgicale.

Je le vois déjà nous endormir…

«Prends ma main et viens danser
Se prendre la main et tourner en rond vers la droite
Et tourne en rond d’un pied léger
Idem puis se lâcher
L’autre main et puis changer
Se prendre la main à gauche et tourner vers la gauche»

Puis, quand on se réveillera, la table sera mise: des croissants, de la confiture, un café noir.

Et après la première bouchée: la voix du papa à sa marmaille: «Allez les enfants, au travail.»

Charles-Éric Blais-Poulin
Chef de pupitre Société
Societe.culture@uqam.ca

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