Les chauffeurs de Montréal doivent conjuguer avec les innombrables travaux routiers. Alors que leurs trajets ressemblent plus à des champs de bataille qu’à des boulevards urbains, le stress et la lassitude les attendent au tournant.
Assise sept heures durant dans son bus articulé, circuit 80, Suzie Guillemette se fraye un chemin entre les centaines de cônes orange, ces cadavres routiers qui jalonnent les chantiers de la métropole. Irritée, elle ne cache pas son profond harassement, au moment où la condition des routes montréalaises occasionne aléas et maux de tête aux travailleurs de la Société de transport de Montréal (STM).
Force est de constater que la situation est tout à fait particulière depuis les derniers mois. «Il y a des travaux partout, partout, partout! Il n’y a aucune rue où il n’y a pas un chantier», badine la porte-parole de la STM Marianne Rouette. Une situation qui engendre une augmentation des cas d’épuisement professionnel (burnouts), comme le confirme le porte-parole du syndicat des chauffeurs d’autobus de la STM, Tom Mouhteros.
Un des principaux facteurs de cet alanguissement général reste la ponctualité. La société de transport de la métropole en a fait son cheval de bataille. Pour Suzie Guillemette, son discours est contradictoire. «D’un côté, il faut être prudent et assurer la sécurité de tout le monde. D’un autre côté, la STM veut qu’on soit à l’heure et nous demande de rouler plus vite», déplore-t-elle.
Les conséquences des retards occasionnés par les travaux sur les différents trajets se répercutent directement sur les chauffeurs. «Les usagers sont choqués parce qu’on est en retard, témoigne Tom Mouhteros. Ils crient après les conducteurs, c’est vraiment rendu débile». Le représentant syndical propose donc au gouvernement de sensibiliser les Montréalais à un transport en commun convivial. À ses yeux, il est essentiel de conserver de bons rapports chauffeurs-usagers, et même entre chauffeurs et automobilistes, qui ont vu leur relation sur la route prendre un virage de plus en plus agressif au cours des derniers mois.
Fâcheux détours
Les chefs d’opération subissent aussi les contrecoups d’une pareille situation et doivent faire preuve d’imagination pour être capables de respecter les horaires, soutient la porte-parole de la STM Marianne Rouette. Ils sont entre autres chargés de trouver des itinéraires de contournement lorsqu’il y a des travaux ou des accidents sur le trajet habituel.
Avec une centaine de personnes à bord de son véhicule, Suzie Guillemette fait souvent face à des problèmes sur le terrain. «Le chef d’opération me dit que je dois tourner à droite sur telle rue pour éviter le trafic ou un nouveau chantier. En pratique, c’est impossible; on dirait une ruelle!» s’indigne celle qui travaille depuis près de 10 ans à la STM. Elle doit alors rappeler le centre de coordination où le chef d’opération lui propose un nouveau parcours. «On fait littéralement du slalom! On entre et on sort sans cesse du trajet», illustre à la blague le porte-parole du syndicat Tom Mouhteros.
Lorsque les autobus doivent ainsi éviter des travaux, les itinéraires sont décidés par les représentants de l’arrondissement et le personnel de la STM. Pour prendre une décision éclairée, «il ne faut jamais oublier que ce sont des individus qui sont au volant des bus», juge Marianne Rouette.
Armistice
Si, de façon générale, la fatigue et le stress gagnent du terrain chez les chauffeurs d’autobus de la ville, il s’agit pour certains de la «business as usual», plaide la porte-parole de la STM. Selon elle, ils connaissent leur circuit et savent où ils auront à conjuguer avec certaines difficultés. D’autant plus que si les conducteurs font face à un trafic inhabituel sur leur parcours, ils pourront faire moins d’arrêts et ainsi éviter de faire des heures supplémentaires. «Ils ont aussi des cours de conduite préventive et de mise à niveau des connaissances», assure-t-elle.
Pour Tom Mouhteros, la solution réside plutôt autre part. «Ça prend des voies réservées aux autobus et il faut que les automobilistes les respectent.» Il ajoute que la seule ligne à voies réservées et à arrêts limités, la 467 Saint-Michel, a déjà amplement fait ses preuves. Prenant exemple sur les États-Unis, le porte-parole du syndicat explique qu’il faudrait à Montréal des voies réservées clairement délimitées auxquelles les automobilistes n’auraient jamais accès.
Chose certaine, la situation n’est pas prête d’être corrigée. Au syndicat, on estime qu’il faudra encore plusieurs années avant que la situation s’améliore véritablement. Sur le site de la STM, on annonce cependant quelques mesures pour améliorer l’efficacité du service et deux programmes de soutien psychologique sont offerts aux chauffeurs aux frais de la compagnie et du syndicat. Reste que les usagers devront s’armer de patience: les chauffeurs ne conduisent pas un char d’assaut, mais un autobus qui se retrouve bien souvent coincé quelque part dans les dédales des travaux routiers de la métropole.
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