Armés jusqu’au campus

Stylo, duo-tang, surligneur. Pour arrêter les balles de fusil, le matériel de classe ne vaut rien. Aux États-Unis, des étudiants et des politiciens militent afin d’ajouter les armes à feu à la liste des fournitures scolaires.

C’est une histoire qui se terminera dans un bain de sang, un scénario digne d’un film d’horreur. Un tueur s’approche. Devant lui, des dizaines d’étudiants sont alignés, immobiles ou affolés, mais surtout sans défense devant les balles qui s’apprêtent à traverser la salle de classe. Si seulement ils étaient armés.

La menace est omniprésente. Les campus universitaires ne sont pas aussi sécuritaires qu’ils le paraissent et, surtout, les Américains ne devraient pas être contraints d’abandonner leur droit de porter une arme lorsqu’ils entrent dans une zone scolaire. Voilà le discours du Students for Concealed Carry on Campus (SCCC), un groupe qui défend depuis 2007 le droit aux étudiants et au personnel universitaire de se balader avec une arme dans l’enceinte des institutions d’enseignement postsecondaire. À la maison comme à l’école, clame le SCCC, l’Amérique doit être sur le mode semi-automatique.

Sur la Toile et les réseaux sociaux, l’organisation tente de provoquer le peuple, trop souvent convaincu qu’il est en sécurité, selon le porte-parole du SCCC, David Burnett. «Les gens oublient que de sinistres incidents peuvent avoir lieu, et c’est la raison pour laquelle ils perdent leurs moyens quand ils se retrouvent dans une situation dangereuse», explique l’étudiant de 25 ans, qui trimballe son arme partout où il va. Pour se préparer mentalement à la possibilité d’une fusillade, les 40 000 partisans du SCCC peuvent feuilleter l’album photo qu’affiche le groupe sur sa page Facebook. «Vulnérables. Les professeurs aiment que les étudiants soient placés en rangées. Les tueurs aussi». Les mots, placés sous des rangs de bancs d’école vides, décortiquent la menace qui guette les étudiants. «Les meurtriers n’obéissent pas aux affiches apposées un peu partout sur les campus, explique David Burnett, se moquant des avertissements sur lesquels une ligne diagonale rouge traverse la photo d’un fusil. Il faut être préparés.»

Selon Charlene Taylor-Kindrick, professeure-adjointe au département de justice criminelle de la California State University de Bakersfield, la perception du danger est erronée chez certains Américains. «Les crimes violents reçoivent énormément d’attention médiatique, explique-t-elle. Le sensationnalisme utilisé par les médias laisse croire à la population que ces délits sont très fréquents, mais n’est pas le cas.» En 2011, 14 États américains ont présenté un total de 35 projets de lois visant à légaliser le port d’armes dissimulées pour les étudiants et le corps professoral ou, encore, à alléger la réglementation entourant leur interdiction sur les campus universitaires. Ces textes, compilés par la Conférence nationale des législatures d’État, n’ont toutefois pas encore réussi à obtenir les appuis nécessaires pour devenir des lois.

La culture du fusil
Dès l’élaboration de la Constitution américaine en 1789, les Pères fondateurs américains se sont inquiétés de la capacité du peuple à se défendre. Résultat: tout de suite après les prérogatives de la liberté de religion, de parole et de presse, le Deuxième amendement de la Constitution garantit «une milice bien organisée» et «le droit au peuple de porter des armes». Aujourd’hui, cette culture du fusil n’est pas disparue, au dire de Charlene Taylor-Kindrick. «C’est très régional: les États du Sud, le Texas en tête, acceptent davantage l’idée de posséder une arme, observe-t-elle. La symbolique de la Constitution est également très forte. On n’abolira jamais le Deuxième amendement.»

Un Américain sur trois dit posséder une arme, selon un sondage de la firme Gallup mené en 2005. Cette proportion augmente à 47 % chez les hommes. Selon le SCCC, un total de 26 universités américaines autorisent le port d’armes sur leurs campus. «Vingt États interdisent cette pratique à l’université, tandis que 22 autres confient ce choix aux institutions d’enseignement postsecondaire», explique Andy Pelosi, le directeur administratif et fondateur de GunFree Kids, une organisation qui regroupe 12 000 Américains opposés au port d’armes sur les campus universitaires. «Il y a une sorte de paranoïa collective, croit-il. Nous allons finir par rendre des lieux sécuritaires dangereux.»

Chez l’oncle Sam, le gouvernement fédéral n’interdit pas le port d’armes sur les campus universitaires. La décision revient plutôt aux États, et ceux-ci refilent souvent aux universités le devoir de déterminer leur politique à ce sujet. Pour l’heure, seul l’Utah autorise le port d’armes sur l’ensemble de ses campus universitaires publics, tandis que de nombreuses institutions en font autant au Colorado. Dans l’espoir de voir d’autres États leur emboîter le pas, le SCCC continue d’affûter ses armes. «Avant la fusillade de Virginia Tech, les gens auraient probablement dit qu’ils se sentaient en sécurité sur le campus. Mais le tueur est venu leur prouver que de se sentir en sécurité n’équivaut pas nécessairement à l’être», avance David Burnett, en faisant référence à la tuerie du mois d’avril 2007, où les balles tirées par un étudiant ont fait 32 morts.

Selon lui, la réponse à ces actes violents consiste à armer certains étudiants. La logique est simple: comme il boucle sa ceinture de sécurité en entrant dans sa voiture, David Burnett dit garantir sa sécurité et celles de ses collègues en portant une arme. «Je préfère avoir un fusil, plutôt que d’espérer que les policiers retrouvent mon corps ensanglanté à temps», explique-t-il. Pour Andy Pelosi, ce raisonnement ne tient pas la route. «Les étudiants consomment de l’alcool, parfois des drogues. C’est dangereux de permettre aux jeunes de se balader avec une arme à l’université, dit-t-il, avant d’ajouter que les efforts doivent être concentrés sur la prévention et la sécurité. Certains professeurs vont y penser à deux fois avant de donner une mauvaise note à un étudiant si celui-ci est armé. Cessons de nous concentrer sur la réaction, et pensons plutôt à la prévention.»

Bien que des spécialistes comme Charlene Taylor-Kindrick croient qu’une meilleure application de la loi soit le seul moyen de répondre à la violence, le SCCC ne prévoit pas changer son fusil d’épaule. Le groupe s’acharne à convaincre la population que s’armer, c’est se protéger. «On aurait pu dire au scientifique Edward Jenner qu’il était illogique d’utiliser la souche de la maladie de la vaccine pour développer un vaccin contre la variole, lit-on sur le site Web de l’organisation. De la même façon, on vous dira qu’il est illogique de combattre la violence avec davantage de fusils. Mais la vérité, c’est qu’il faut répondre à des coups de feu en tirant davantage de balles.»

Illustration de Sophie Chartier

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *