Salle 1: le dernier blockbuster américain. Bondée. Salle 2: un film étranger avec sous-titres. Pas un chat. Avec des résultats médiocres au box-office, le cinéma international se fait rare au Québec, malgré les efforts de certains.
Stéphanie Trépanier est une mordue de cinéma. Dès l’âge de 17 ans, elle attend en file au festival international de films Fantasia. Comme tous les autres amateurs de films étrangers autour, elle est découragée. Chaque année, c’est le même discours: au Québec, personne – surtout pas les distributeurs – ne s’intéresse à ce type de cinéma après la clôture de l’événement.
La jeune femme décide de prendre les choses en main. En 2008, elle fonde sa propre compagnie de distribution, Evokative Films. Trois ans plus tard, elle avoue qu’avoir su ce qui allait se passer, elle n’aurait rien fait. Son erreur a été de penser qu’un public serait derrière elle. «Je me suis basée sur un auditoire très fidèle, celui de Fantasia, en pensant qu’il le serait ensuite durant toute l’année. Mais ce n’est pas le cas. La majorité des cinéphiles de Fantasia s’intéressent plus à l’événement qu’à l’art présenté.»
Après avoir arpenté pendant plusieurs mois les couloirs des festivals de films étrangers à la recherche de productions intéressantes, elle doit se charger de la publicité et des projections en primeur. «Je choisis mes films selon mes propres goûts. Si je les aime à moitié seulement, je laisse tomber, parce qu’il s’agit d’un travail de plusieurs années, explique la femme de 31 ans. Et je ne dispose pas d’un budget énorme. Je ne peux pas placarder 1 000 affiches dans toutes les stations de métro de Montréal.»
Le produit final enfin en salles, on attend avec impatience les résultats du box-office de la première fin de semaine de sortie. Et ils sont bas. Si bas que les cinémas décident de suspendre la projection des films après seulement une semaine. C’est le cas, entre autres, de Down Terrace, un film du Britannique Ben Wheatley, distribué par Evokative Films. Présenté en 2010 à Fantasia, il est encensé par la critique. Pourtant, lorsqu’il sort, le 3 décembre, au Cinéma Parallèle à Montréal, le film ne récolte qu’un maigre 161 $. Le cinéma cesse la projection et l’aventure québécoise de Down Terrace s’arrête après seulement une semaine.
Marie-Christine Picard, directrice des opérations et de l’exploitation au Cinéma Parallèle, indique qu’il n’est jamais facile de retirer un film des salles. Elle projette des films étrangers à sa clientèle pour une raison: présenter la diversité artistique et la qualité cinématographique du monde. «Mais s’il y a quatre spectateurs, c’est que ça n’intéresse pas. J’ai beaucoup de solidarité pour les distributeurs, qui éprouvent énormément de difficulté, mais je n’ai pas le choix.»
La loi du plus fort
Si la fondatrice d’Evokative Films jette le blâme sur le public pour le faible succès du cinéma international au Québec, il n’en est pas de même pour Johanne Brunet, professeure et directrice du Service de l’enseignement du marketing au HEC Montréal. Selon elle, entre les festivals, les pièces de théâtre et les concerts extérieurs, la culture coule à flot dans la Belle Province et propose trop de choix à la population. «L’offre est beaucoup plus importante que la demande ici, alors tous les consommateurs s’accaparent le même produit», explique la professeure agréée.
Elle ajoute que la vision qu’a Stéphanie Trépanier du marketing cinématographique n’est pas forcément la bonne, les cinémas étant avant tout des entreprises privées dont l’objectif est d’être rentable. «Les enjeux aujourd’hui sont différents et son discours “je vous vends ce produit et il est bon, alors prenez-le” ne fonctionne pas dans un monde capitaliste. Et puis s’il n’y a personne dans les salles, ça ne veut pas dire que le film n’est pas visionné.» (voir encadré)
Pour éviter les échecs au box-office, il faut surtout étudier la demande, d’après le président et chef de la direction d’Alliance Vivafilm, Patrick Roy. «Si on décide d’importer un film asiatique, mais que ça n’intéresse que 1 000 personnes, ce n’est pas suffisant, explique-t-il. Alors pour satisfaire tout le monde, notre entreprise compte sur les films qui marcheront très bien et ensuite prendre des risques avec ceux qui marcheront moins bien.»
Alliance Vivafilm est la branche québécoise d’Alliance Films, l’entreprise de distribution la plus importante au Canada. Elle distribue les films de plus de dix compagnies américaines comme Miramax Films, Lionsgate et Metro-Goldwyn-Mayer. Patrick Roy indique que dans ce marché, tout dépend du potentiel.
«Que ce soit ici ou ailleurs, le cinéma américain est un joueur dominant et génère 75% du box-office québécois, explique le président et chef de la direction d’Alliance Vivafilm. Nous sommes là pour répondre au potentiel. Si l’engouement pour les films américains baisse et que celui pour le cinéma international prend la relève, on change tout!»
Quand on lui parle d’avenir, Stéphanie Trépanier prend une grande respiration et souffle. Encore la semaine dernière, le film anglais Oil City Confidential prenait l’affiche au Cinéma Parallèle, mais a terminé sa course six jours plus tard en raison d’un box-office trop bas. «Je ne sais vraiment pas comment je peux arranger cette situation, déplore la jeune distributrice. J’ai créé ma compagnie pour desservir et écouter la population, mais personne ne répond.» Stéphanie Trépanier peut au moins compter sur son poste de directrice du marché, des nouveaux médias et de l’accueil au festival Fantasia l’été prochain. «Là-bas, les salles affichent complet, au moins.»
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Les clubs vidéo aussi
Stéphanie Trépanier ne s’en prend pas qu’aux cinémas et au public. Elle critique aussi le peu d’ouverture des clubs vidéo face à des œuvres en langue étrangère. «Ils vendent des pommes et des oranges, et j’offrais un fruit de la passion qui risquait de pourrir sur la tablette, écrivait Stéphanie Trépanier dans une lettre publiée dans le magazine VOIR. C’était un investissement trop risqué pour eux.» Elle ajoute que les sous-titres ne sont pas la solution miracle. «Le public européen est plus ouvert à la culture étrangère, alors il n’a pas de misère à entendre une autre langue. Au Québec, c’est le contraire.»
Un propos que nuance Renaud Després-Larose, assistant-gérant de la succursale Mont-Royal de la Boîte Noire. La boutique est considérée comme la référence en films étrangers à Montréal. «La section internationale représente la moitié de notre magasin et notre clientèle est très variée.» Il ajoute toutefois que la section québécoise, qui comprend tous les classiques populaires, est la plus rentable.
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