Tous les regards sont rivés sur le monde arabe. Vent de changement en Tunisie, titre-t-on par-ci, le peuple égyptien en marche vers la démocratie, titre-t-on par là. Mais, au bout du compte, bien malin qui peut prédire l’issue ultime de ces chambardements.
«Le pouvoir tend à corrompre. Le pouvoir absolu corrompt absolument», disait Lord Acton. Combien de changements de régimes remplis de promesses l’Histoire a-t-elle vus se transformer en cul-de-sac politique?
Depuis le début des manifestations, on prononce du bout des lèvres l’éventualité de voir, à terme, les islamistes prendre la place des dictateurs déchus. Tunisie, Égypte: remakes de la révolution iranienne?
Assez cocasse, d’ailleurs, de voir à quelle vitesse les responsables américains ont retourné leurs vestes à la faveur des événements. Moubarak est gage de stabilité, disait la secrétaire d’État Hillary Clinton le 25 janvier, lors des premières manifestations. Exactement une semaine plus tard, le président Obama martelait que Moubarak devait partir «maintenant». Pour Washington, l’enjeu est de taille: surtout, ne pas être associé au dictateur par le peuple égyptien. Ce serait donner plus de munitions que nécessaire aux Frères musulmans pour vilipender la vilaine Amérique et sa longue ingérence dans le blocage politique du pays des pharaons. Et ainsi, marquer des points dans une éventuelle élection.
Les Égyptiens ne sont pas dupes. Les grandes déclarations du président Obama ont bien peu d’impact en comparaison aux grenades lacrymogènes, fabriquées à Jamestown, Pennsylvanie, qui pleuvent sur eux depuis qu’ils sont dans les rues du Caire et d’Alexandrie. Ils savent très bien que les États-Unis ont soutenu à hauteur de 1,7 milliards de dollars le régime de Moubarak, leur principal allié dans cette région pour leur lutte stratégique contre les États islamiques.
Pendant que la pluie de dollars américains remplissait les coffres du dictateur, les Frères musulmans, eux, s’occupaient de l’aide aux démunis, du soutien scolaire et ont investi les syndicats. Pas étonnant qu’ils bénéficient aujourd’hui d’une grande sympathie et qu’ils forment l’organisation la plus solide en Égypte après l’armée.
Partout dans le monde arabe, les organisations islamistes sont au premier rang de l’aide au développement. Ce n’est pas un hasard si le Hamas a gagné les élections en 2006 dans la bande de Gaza. Pendant de nombreuses années, ils ont soigné et aidé les Palestiniens appauvris par les blocus israéliens. Même histoire avec le Hezbollah libanais.
Au Pakistan, les Etats-Unis offriront environ 9,5 milliards de dollars au régime d’Alif Ali Zardari cette année pour combattre les talibans et rétablir leur emprise sur les territoires tribaux du nord-ouest du pays. Pendant ce temps, ce sont les organisations islamistes qui continuent à venir en aide aux 17 millions de sinistrés des inondations survenues l’été dernier. Ce sont aussi les organisations islamistes qui offrent l’éducation gratuite à des milliers d’enfants pauvres dans les madrasas, ces écoles coraniques qui fleurissent à travers le pays.
La lutte contre les régimes islamistes ne se gagnera jamais pas la force des armes. Peu importe le nombre de drones envoyés pour décapiter les têtes dirigeantes fondamentalistes, peu importe le nombre d’années passées à combattre les talibans. Reste à savoir si les dirigeants américains et leurs collègues du «monde libre» changeront un jour de stratégie. Il peut parfois être une bonne chose de retourner sa veste.
Guillaume Jacob
societe.campus@uqam.ca
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