Effervescence dans l’industrie du thé
Longtemps associé à la vieille tradition chinoise, le thé redevient une boisson en vogue. Ses effluves et son goût parfumé évoquent l’exotisme et le bien-être. Les amateurs le dégustent, mais s’intéressent aussi la science et à la philosophie de cette infusion.
À l’abri des vrombissements de la ville, quelques disciples réunis dans le local exigu sont envoûtés par les airs de sitar. La tablée touche les feuilles, les hume et les observe virevolter avec légèreté dans des théières aux formes diverses. Doucement, les participants risquent une première gorgée. De sa voix sereine, l’animateur de l’atelier Kevin Gascoye suggère d’«intellectualiser les sensations» afin d’identifier les arômes rappelant des éléments comme le gazon, les noix, le cuir tanné, le bacon et la pomme. Le spécialiste des thés noirs indiens et sri-lankais a cofondé en 1998 la Maison Camellia Sinensis, figure de proue des institutions dédiées à la boisson parfumée dans la métropole. «Nous allons d’ailleurs inaugurer une école en 2011. Les cours s’adresseront aux gens de l’industrie, mais aussi au public.» Les Québécois apprécient de plus en plus les infusions de feuilles méticuleusement choisies par Kevin Gascoye et ses acolytes. Aventuriers comme les coureurs des bois et savants comme les sommeliers, ils parcourent l’Orient en quête des meilleures récoltes. Un exercice artisanal qui garantit une certaine qualité, selon Kevin Gascoye. «Le goût des feuilles en sachet est standardisé. La complexité aromatique et le bouquet d’arômes se retrouvent plutôt dans les produits fins.»
Le montréalais Jérôme Schlossman raffole du goût complexe du thé qu’il a appris à apprivoiser en fréquentant la prestigieuse boutique Mariages Frère à Paris. «Comme le vin, il faut une certaine habitude, une certaine éducation du palais. Le goût reste subtil, fin, d’où l’art d’en boire avec une certaine attention.» Kevin Gascoye perçoit aussi une similarité entre la dégustation des infusions et l’étude du vin. «La semaine dernière j’étais à Toronto avec François Chartier, se remémore-t-il. Nous avons fait des accords mets-vins-thés. C’était très intéressant, ça créait une synergie.»
À votre santé!
Le thé était la boisson la plus bue au Canada avant la Deuxième Guerre mondiale, une habitude témoignant de l’héritage britannique de l’ancien Dominion. «Par la suite, la génération des baby-boomers s’est mise à consommer de plus en plus de café», raconte Louise Roberge, présidente de l’Association du thé du Canada (ATC). «À un tel point qu’en 1991, sa consommation était à son plus bas.» Confrontée à des ventes faméliques, l’industrie mondiale a alors commandé des études scientifiques pour mettre en valeur les vertus de la boisson chaude. Santé Canada a d’ailleurs reconnu les propriétés antioxydantes du thé vert. Selon Louise Roberge, les infusions pourraient représenter une solution aux problèmes chroniques de santé. «Ça semble être une bonne option pour contrer l’obésité, estime-t-elle. Les infusions sont naturelles, sans sucre, sans protéine et sans gras.» Pour Kevin Gascoye, le breuvage d’origine chinoise n’est toutefois pas un médicament. «Il faut l’intégrer dans la vie quotidienne d’abord par plaisir, soutient l’amant du thé. Les gens qui le prennent comme un tonic manquent beaucoup de choses.»
Les ventes de thés de spécialité ont connu une croissance de 163% entre 1997 et 2009 au Canada. Les sachets restent néanmoins les produits les plus populaires, dénote Louise Roberge. Même si l’on boit moins de thé au Québec qu’ailleurs au pays, la présidente de l’ATC soutient que les Québécois se révèlent plus curieux et épicuriens que les canadiens-anglais.
Le goût de l’exotisme
Le contact avec les immigrants a permis une ouverture enrichissante envers les cultures pour lesquelles le thé est roi. La riche histoire du breuvage contribuerait aussi à séduire les nouvelles générations en exacerbant leur goût du voyage. Les importateurs-dégustateurs de la maison Camellia Sinensis partagent d’ailleurs leurs périples en terres lointaines sur Internet, à l’instar des explorateurs qui faisaient le récit de leurs aventures sur la route des épices au XVe siècle. «La boisson a une histoire millénaire et cela captive les gens», observe Louise Roberge. Selon la légende, quelques feuilles de théier seraient tombées inopinément dans la tasse d’eau bouillante de l’empereur chinois Shennong en 2737 av. J.C., sitôt conquis par «cette boisson douce et amère, délicatement parfumée».
L’industrie du café ne tremble pas devant l’ascension de son rival. «On boit encore deux fois plus de tasses de café que de thé au pays», explique Sandy McAlpine, président de l’Association du café du Canada. Le café symbolise la performance dans une société productiviste. Sa consommation matinale est bien ancrée dans les habitudes occidentales, souligne-t-il. «Boire une tasse café c’est comme prendre une douche, déguster une tasse de thé c’est comme prendre un bain moussant. Au cours de la semaine, peu de gens prennent un bain en se levant.»
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