À l’école du vin
Concevoir un herbier, observer un pépin de raisin au microscope et bouturer des tiges en éprouvettes: cursus de deuxième année primaire en Sciences de la nature? Non. C’est celui des Sciences de la vigne de l’Institut Jules Guyot. De passage à Dijon, Montréal Campus a visité cette grande école du vin.
Le campus de l’Université de Bourgogne ressemble à tous les autres campus de France. De l’aube au crépuscule, il fourmille d’étudiants, sac en bandoulière, pressés, en retard, ou tout simplement nonchalants. Mais au milieu du chahut, une grappe d’apprentis en sarrau émergent de temps à autre d’une plantation de raisins, sécateurs en main. Bienvenue à l’école des grands crus.
Ces apprentis sont quelques-uns des 220 étudiants de l’Institut universitaire de la vigne et du vin Jules Guyot. Salariés en quête de connaissances, élèves nés entre deux plants de vigne ou non-initiés, l’institution accueille ceux qui veulent boire à la grande coupe du savoir viticole, à condition d’être doué!
L’Institut cultive les spécialistes comme le viticulteur les différents cépages. Ses finissants se rangent dans les principales branches de l’industrie viticole: culture, production et commercialisation. Chaque année, l’école délivre aussi quarante Diplômes nationaux d’œnologue (DNO). Après deux ans de formation, les protégés de Dyonisos deviennent des experts de la vinification et de la dégustation. «La formation est très prisée, explique Valérie Croiset, assistante-pédagogique à l’Institut. Seuls cinq centres sont habilités à l’offrir en France.»
Un arôme unique
Créé en 1992, l’Institut n’a pas attendu les années pour atteindre la maturité d’une bonne bouteille. Valérie Croiset affirme que deux atouts le distinguent toutefois des autres écoles du vin. Tout d’abord, si l’institution avait une année millésimée, ce serait 2006. Depuis cette date, l’Université de Bourgogne abrite l’unique Chaire UNESCO en «Culture et Traditions du vin». Le groupe de recherche poursuit plusieurs objectifs, dont l’adaptation de la viniculture aux principes du développement durable. Et puis il y a le laboratoire des chercheurs et des étudiants: un terrain fertile de deux hectares où sont cultivés plusieurs cépages. Le Domaine de Marsannay, un legs fait à l’Université de Bourgogne en 1917, reçoit la visite des étudiants plusieurs fois par semestre. «Les travaux pratiques se font à même le vignoble et la cuverie, explique Valérie Croiset. C’est une véritable vitrine pour nous.»
Vignes et fleurs de lis
«C’est certain que passer un après-midi à faire des dégustations de vins dans un laboratoire, tu ne fais pas ça en sciences po!» lance en riant Gabrielle Préfontaine-Beaupré. La Québécoise a été admise au DNO à l’Institut Jules Guyot l’an passé. Elle fait partie de la poignée d’étudiants étrangers choisis annuellement. Selon Valérie Croiset, un ou deux cousins de la Belle Province joignent les rangs des aspirants œnologues chaque année.
Pour cause, les formations en viticulture sont introuvables en sol québécois. «Et ce n’est pas près d’exister, car la demande est minime», affirme Richard Bastien, un œnologue diplômé de Reims qui a élu domicile au Québec il y a quelques années. Le cofondateur d’ŒnoQuébec, premier cabinet œnologique de la province, admet être tombé de haut à son arrivée. «Je me présentais à des viticulteurs qui ne savaient même pas ce qu’était un œnologue!» se souvient-il.
Prendre de la bouteille
Pour bâtir son expérience dans les vignobles, Gabrielle Préfontaine-Beaupré a dû s’exiler. Le programme en agronomie de l’Université Laval ne convenait pas à ses aspirations. Mais avant de soumettre sa candidature à l’Institut Jules Guyot, elle a foulé les domaines viticoles de Nouvelle-Zélande, d’Australie et de Colombie-Britannique. Elle savait le programme de DNO très contingenté: quarante admissions par établissement après étude de dossier, sur plus de deux cents candidatures.
Le travail de terrain, c’est ce qui enivre l’œnologue en herbe. Cet automne, les vignobles de France étaient en période de vendanges, et Gabrielle aussi. Au DNO, les étudiants de première année jalousent leurs aînés, qui arpentent les allées de raisins mûrs. Jusqu’en janvier prochain, les étudiants de deuxième année assisteront des producteurs dans toutes les étapes de vinification, de l’égrappage à la fermentation. De quoi rassurer l’étudiante québécoise, que le choix de formation avait laissée perplexe l’an dernier. «L’enseignement en France est différent de celui ayant cours au Québec et en première année, c’était excessivement théorique. N’ayant pas de formation en biologie comme les autres, j’étais complètement perdue!» confesse-t-elle.
Selon Richard Bastien, il n’y a pas que l’enseignement qui distingue les terroirs québécois et français. Les conditions climatiques du Québec forcent les œnologues formés en France à mettre de l’eau dans leur vin une fois l’Atlantique traversé. «J’ai mis près de quatre ans à sortir un premier rouge qui se démarque au Québec, soulève-t-il. Si on travaille ici comme en France, on ne fait rien d’intéressant, car les cépages sont complètements différents.» Le renommé vin de glace, dont le Canada est le premier producteur mondial, en est le meilleur exemple. Richard Bastien n’avait jamais travaillé avec les grappes gelées auparavant.
Mais Gabrielle ne s’en fait pas trop. «Il y a aussi beaucoup d’emplois dans le domaine dans le sud de la France. J’irai là où il y aura de bonnes occasions!» N’est-ce pas ce que font les vignes grimpantes, après tout?
Dr Guyot (1807-1872)
À l’Institut, une plaque commémorative présente la silhouette d’un homme aux longs favoris : le physicien français Jules Guyot. Auteur d’études viticoles révolutionnaires, ses observations influencent encore la pratique aujourd’hui. Notamment la taille Guyot, encore pratiquée sur les plants de vigne pour orienter leur croissance.
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