Grossière ingérence

Coupures à KAIROS et Alternatives

Plusieurs organismes de développement international se font couper les vivres, sans explication convaincante. Sont-ils victimes d’une vendetta des conservateurs?
Les temps sont durs chez Alternatives. L’ONG montréalaise ne reçoit plus un sou de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), en dépit d’une demande formulée il y a près d’un an. Malgré les appels insistants de l’organisme, l’agence fédérale ne daigne pas expliquer pourquoi les procédures sont si longues.

En accueillant Montréal Campus au siège social de l’organisme, le directeur général d’Alternatives, Michel Lambert, fait remarquer les nombreux bureaux abandonnés. «Dix personnes ont perdu leurs jobs depuis un an.» Ces employés devaient travailler sur les projets de développement international menés par l’ONG: agriculture urbaine en Haïti, appui aux syndicats au Honduras, soutien à l’éducation d’enfants palestiniens… 

Ce dernier projet serait le caillou ayant enrayé l’engrenage administratif de l’ACDI. L’automne dernier, l’agence a demandé à Alternatives de retirer de sa demande de financement un partenariat vieux de quinze ans avec le Teachers Creativity Center, un organisme voué à l’éducation en Palestine, car il présentait «un risque d’échec élevé». L’ONG l’a fait à contre-cœur. 

«C’est plutôt une entorse à l’idéologie pro-israélienne des conservateurs», croit Michel Lambert. Selon lui, le gouvernement Harper fait de l’ingérence politique dans les affaires de l’agence. «Tout se décide au bureau de la ministre Bev Oda [responsable de l’ACDI], qui relève du premier ministre. Depuis que les conservateurs sont au pouvoir, la ministre doit approuver tous les projets présentés à l’agence. Elle exerce un contrôle absolu.» 

Alternatives milite depuis longtemps pour les droits des Palestiniens. L’ONG a aussi condamné l’appui canadien à l’offensive israélienne au Liban contre le Hezbollah en 2006, en plus de soutenir la campagne Boycott Israël. Le directeur est outré par l’attitude du gouvernement conservateur à l’égard du conflit israélo-palestinien. «Ils essaient de changer le langage et de qualifier d’antisémites tous ceux qui critiquent les actions du gouvernement israélien.» Selon lui, le gouvernement tente de censurer les organismes qui critiquent ses politiques.

Pour l’instant, Alternatives attend toujours, l’ACDI n’ayant pas confirmé si elle refusait définitivement de financer les projets de l’ONG. Mais Michel Lambert craint ne jamais voir la couleur des trois millions de dollars demandés à l’agence. Le 4 décembre dernier, un journaliste du National Post lui apprenait que «la demande de financement d’Alternatives sera refusée parce qu’elle ne cadre plus avec les priorités de l’ACDI, selon une source à l’intérieur de l’agence». Jointe par courriel, l’attachée de presse de la ministre Oda, Jessica Fletcher, a déclaré qu’aucune décision n’avait été prise dans ce dossier, sans pouvoir expliquer la longueur du processus. 
Le jupon dépasse

Alternatives n’est pas la seule ONG à avoir maille à partir avec l’agence fédérale. Fin novembre, KAIROS, une organisation regroupant plusieurs églises canadiennes, s’est soudainement vu refuser le renouvellement d’une entente de plus de sept millions de dollars avec l’ACDI. Du coup, l’agence mettait fin à 35 ans de collaboration avec l’organisme, qui conduit des projets de développement international dans une trentaine de pays. Apparemment, son action ne cadrait plus avec les priorités de l’agence fédérale. KAIROS a dû abandonner plusieurs projets, dont l’instauration d’une clinique juridique pour les femmes est-congolaises.

Mais le chat est sorti du sac le 16 décembre dernier. Le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, Jason Kenney, alors de passage à Jérusalem, a déclaré que «KAIROS a joué un rôle de premier plan dans la campagne de boycott et de désinvestissement menée contre Israël», avouant du même souffle que c’était la raison pour laquelle son gouvernement lui avait retiré son soutien. 

«Pour nous, il ne fait plus de doute que ces coupures sont de nature politique, dénonce le coordonnateur du programme de droits humains de l’organisme, John Lewis. Je crois qu’il y a un mouvement au Canada qui consiste à étiqueter les organismes comme KAIROS qui travaillent pour les droits des Palestiniens.» 
Les ONG inquiètes

Plusieurs ONG québécoises ayant des projets dans les territoires palestiniens sont désormais inquiètes de voir le couperet s’abattre sur leur partenariat avec l’ACDI. L’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) a convié ses 69 organismes membres à une assemblée spéciale, le 19 février, pour discuter d’un plan d’action afin de se représenter plus efficacement auprès du gouvernement fédéral. «Des rumeurs circulent selon lesquelles d’autres organisations seraient dans la mire des conservateurs, dévoile le directeur général de l’association, Gervais L’Heureux. Pour les grandes organisations, comme Oxfam, des coupures seraient douloureuses, mais pour de nombreuses ONG plus petites, l’arrêt du financement pourrait signifier la fin de leurs activités.» 
Nouvelle vision

Coïncidence, la parcimonie dont fait preuve l’ACDI arrive alors que le gouvernement conservateur serait sur le point d’annoncer la création d’un nouvel outil de promotion de développement international, provisoirement nommé Centre canadien pour l’avancement de la démocratie. Un rapport déposé l’automne dernier par le Comité permanent des affaires étrangères de la Chambre des communes esquisse le projet. Financé à hauteur de 30 à 70 millions de dollars annuellement, le nouvel organisme appuiera principalement des partis politiques dans des pays où la démocratie est fragile. «Avec le gouvernement qu’on a, c’est au Canada qu’on va avoir besoin d’un organisme de promotion de la démocratie», ironise Michel Lambert. 
Campagne Boycott Israël

La campagne Boycott Israël est l’initiative de 170 organisations de la société civile palestinienne. Elle invite au boycott des entreprises et des produits israéliens afin de faire pression sur le gouvernement de l’État hébreux pour qu’il mette fin à l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens. Le 25 février dernier, cinq-cents artistes québécois, dont Richard Desjardins, Gilles Vigneault et Karen Young, ont pris position en faveur du boycott pour déplorer «un système de racisme et de ségrégation qui ressemble à l’apartheid sud-africains d’autrefois.»

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