Des athlètes canadiens se mettent à nu
Louis-François Gagnon, triple médaillé olympique en patinage de vitesse, est en position de départ. Les genoux fléchis, le haut du corps incliné vers l’avant et les deux fesses à l’air. Gros plan sur le photographe Jean-François Bérubé, qui déshabille les athlètes canadiens.
Jean-François Bérubé n’a rien d’un maniaque de sport qui suit religieusement les performances des sportifs, bol de chips à la main. Il admet franchement ne pas faire partie du lot de Montréalais qui, dès l’aube, enfilent leurs espadrilles pour un petit jogging matinal. Pourtant, ce vieux routier de la photographie témoigne d’une réelle fascination pour le corps des Olympiens dans son nouvel essai photographique, Luminophore.
Les portraits format géant de Jean-François Bérubé sont suspendus aux murs d’un blanc immaculé de la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal. Le quinquagénaire originaire de la Vallée de la Matapédia braque son objectif sur le corps des athlètes. Son produit final flirte avec le sensuel sans sombrer dans l’érotisme. Faire saliver mesdames et messieurs? Non. Jean-François Bérubé veut, en appuyant sur le détenteur de sa caméra numérique, glorifier le corps des huit athlètes qui ont accepté de se dévêtir. «J’ai voulu immortaliser le corps de nos athlètes au sommet de leur forme physique», mentionne Jean-François Bérubé. Luminophore est en quelque sorte une manière de louanger les efforts, l’assiduité et les sacrifices des sportifs.«Quand les Jeux olympiques arrivent, les athlètes sortent de l’ombre et deviennent nos héros. Un petit instant de gloire. Mais le reste du temps, ce sont des athlètes amateurs qui s’entraînent dans des conditions d’amateurs», souligne l’érudit des arts graphiques.
Pour la photo plain-pied de la pilote de bobsleigh, Helen Upperton, le photographe a préféré garder la combinaison d’entraînement moulante qui lui donne des airs de femme-grenouille. «Je voulais montrer la musculature impressionnante de ses cuisses. Nues, ses jambes étaient moins définies», explique-t-il.
Les dieux du stade
La liaison entre Jean-François Bérubé et les Olympiens dure depuis 12 ans. En 1998, il reçoit un coup de fil du magazine Géo Plein Air pour photographier des sportifs nus. À l’époque, convaincre les athlètes de participer au projet Corps et âme relève d’un vrai tour de force. «Ils avaient peur d’entacher leur réputation et de ne plus pouvoir décrocher de commandites», se rappelle Jean-François Bérubé. Plusieurs grands noms du sport, notamment le spécialiste du 100 mètres Bruny Surin, ont foi en la démarche du photographe et acceptent de s’exhiber devant l’objectif. L’exposition fait un tabac à un point tel qu’une deuxième commande vient en 2000: Les Athlètes Lumières.
Luminophore n’est pas un copier-coller des expositions précédentes. «Les techniques ont évolué depuis ma première expérience de nus. Avec Luminophore, j’ai apprivoisé les jeux de lumière. Dans les trois expositions, le respect de la beauté et du corps est au cœur de ma démarche», assure l’homme à la chevelure noire hirsute.
Louis-François Tremblay, qui représentera le Canada aux Jeux olympiques de Vancouver en patinage de vitesse, est ravi en regardant ces photos placardées aux murs de l’exposition. «Jean-François est tombé en plein dans le mille», lance-t-il, visiblement satisfait des portraits où il figure. La vie du patineur rime depuis vingt-cinq ans avec des entraînements rigides. Il se réjouit que Jean-François révèle avec autant de beauté les moments de labeurs inhérents à sa condition d’athlète. «En shooting, il est dans son élément. Il a l’œil et le souci du détail», affirme Louis-François Tremblay, en parlant de son expérience dans le sobre studio de l’avenue du Mont-Royal.
Une myriade de projets
Ce grand nom de la photo n’est pas uniquement un portraitiste d’athlètes nus. Des pages de L’actualité à la couverture du Elle Québec, jusque sur les murs du Musée des Beaux-arts de Montréal, ces œuvres sont un pur délice pour les yeux de ceux qui les balaient du regard. Leonard Cohen, Serge Gainsbourg et Nanette Workman ont tous été décortiqués sous la lentille de Jean-François Bérubé.
«Je ne suis pas photogénique», lance le photographe, visiblement agacé de se retrouver devant la caméra du Montréal Campus. Victime de son art, il choisit de se cacher derrière une des photos de Luminophore. Quand on constate que «c’est une belle brochette de personnalités publiques que vous avez décrochée», l’humble artiste interrompt la question qui allait suivre par un «Je suis aussi chanceux d’avoir pu rencontrer des gens “normaux”. Je reviens justement d’une usine de Rio Tinto Alcan pour prendre des clichés d’ouvriers. C’est merveilleux de faire des portraits avec des gens qui répètent les mêmes tâches depuis plus de trente ans», fait-il remarquer. Son commentaire modeste colle parfaitement à l’image de l’homme qui, malgré son succès et sa renommée, est demeuré simple, intègre et passionné. Jean-François ne s’est pas vautré dans les stéréotypes de l’artiste bohème, souliers de marche aux pieds et pantalon de velours côtelé.
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