Le cinéma de répertoire lutte pour sa survie
Tandis qu’Avatar, le petit dernier de James Cameron, atteint les deux milliards au box-office, les films indépendants n’arrivent plus à éclairer les écrans de la métropole. Seules planches de salut pour ces œuvres pourtant appréciées des cinéphiles, les cinémas de répertoire survivent tant bien que mal face aux géants de l’Oncle Sam.
Le Beaubien, le Cinéma du Parc et le Parallèle: voilà la courte liste des derniers cinémas de Montréal à ne pas être soumis au diktat des films commerciaux. Sanctuaires des cinéphiles de la ville aux cent clochers, l’irréductible quatuor a perdu un des siens sur le champ de bataille en 2009.
La transformation du complexe Ex-Centris, fondé en 1999 au coût de 38 millions de dollars par le mécène Daniel Langlois, a été rude pour le milieu cinématographique indépendant. «La disparition des trois salles de l’Ex-Centris a fait baisser les recettes du Cinéma Parallèle, dont la seule salle est cloîtrée dans le même édifice, déplore Louis Dussault, porte-parole du Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec. Elle a fait allonger la liste d’attente des films indépendants. Maintenant, d’excellents long-métrages peuvent prendre la poussière sur les tablettes pendant plus d’un an avant d’être finalement diffusés.» Un avis partagé par les autres propriétaires de salles de répertoire à Montréal. «La fermeture de l’Ex-Centris ne nous a pas aidés, soupire Roland Smith du Cinéma du Parc. Depuis, beaucoup moins de films indépendants sortent en ville.»
La disparition du phare du cinéma d’auteur du boulevard Saint-Laurent diminue l’offre de films étrangers dans la métropole. «Même si le public veut voir autre chose, ça devient difficile de diffuser des œuvres différentes», souligne Louis Dussault, qui est aussi président de K-Film Amérique, une boîte de distribution de films.
Selon Louis Dussault, les grands studios d’Hollywood font chanter les propriétaires des grandes chaînes de cinéma. «C’est du terrorisme économique. Ils disent : “Si vous ne prenez pas nos films, vous n’en aurez pas de l’année”, s’indigne-t-il. On n’a pas ce pouvoir-là, alors nos productions ne sont diffusées que lorsqu’ils ont une salle de disponible. C’est pour ça que les cinémas comme le Beaubien et le Cinéma du Parc sont absolument essentiels.»
Point de salut?
Le cinéma de la Belle Province doit-il sa survie à la présence salvatrice des cinémas de répertoire? «Oui, estime Louis Dussault, fort de ses 33 années de métier. Sans ce réseau de salles, ce serait difficile d’avoir un cinéma national. C’est souvent parce que les films québécois ont eu du succès dans les salles indépendantes qu’ils sont ensuite diffusés dans les grands cinémas. Ça permet d’offrir au Québec des films différents, alors que dans le reste du pays, le cinéma canadien anglais est quasi inexistant.» En effet, avec 2,9% de parts de marché en 2008, le cinéma canadien crie famine et envie son voisin québécois qui en a obtenu quatre fois plus l’année suivante (12,8%). Toutefois, la période faste de 2005 (18,2%) semble bien révolue par les temps qui courent.
D’après Louis Dussault, l’offre de films américains reste disproportionnée. Ce passionné à la fibre nationaliste s’indigne à la perspective de voir le cinéma de chez nous mourir à petit feu. «C’est presque immoral ce que font les grands studios américains, fulmine-t-il. Ils font une suroffre de films pour nous faire disparaître. Ça les fâche que les films québécois soient prospères et qu’on parle moins de leur production.» Selon Roland Smith, c’est aux propriétaires des grandes chaînes de cinéma à prendre position devant les géants d’Hollywood. «S’ils avaient des convictions, ils pourraient faire changer les choses», se désole l’ancien propriétaire du Théâtre Outremont.
Un rêve controversé
Les espoirs des cinéphiles montréalais reposent entre les mains du fondateur du Cinéma Parallèle et du Festival du nouveau cinéma, Claude Chamberlan. Cette figure de proue du milieu cinématographique québécois s’efforce depuis plusieurs mois de convaincre les gouvernements et les bailleurs de fonds d’investir des sommes considérables – de 15 à 20 millions de dollars – dans un important projet de cinéma situé au-dessus du métro Saint-Laurent. «Il se fait des films incroyables dans le cinéma indépendant, exulte-t-il. Il faut juste avoir les salles pour les diffuser, d’où la nécessité d’un endroit qui possède une âme, un temple du cinéma qui va servir tout le monde: le public, les réalisateurs et les producteurs.»
Les cinq salles espérées sur le terrain quasi désert de la station Saint-Laurent serait un véritable baume sur les plaies du cinéma d’auteur, échaudé par la fermeture des salles pourtant rentables de l’Ex-Centris. «Ça nous ferait tellement respirer, s’exclame Louis Dussault, la voix pleine d’espoir. Nous pourrions diffuser d’excellentes productions qu’on ne peut pas montrer, faute de salles.» L’ambitieux projet ne fait toutefois pas l’unanimité dans le milieu. «Son projet, je n’y crois pas du tout, s’insurge Roland Smith. Il n’y a tout simplement pas assez de cinéphiles pour faire fonctionner davantage de salles. Le marché est complètement saturé.» Les aficionados du septième art sont-ils assez nombreux pour conserver l’espoir de regarder un jour un documentaire malais en sortant du métro Saint-Laurent ou en se rendant au Guzzo le plus près? «Oui, tranche Louis Dussault. Il y a certainement un public à Montréal qui veut voir autre chose.»
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