Wikipédia à l’UQAM
La croissance de l’encyclopédie collective en ligne Wikipédia est exponentielle. Même les murs bruns et épais de l’UQAM peinent à contenir la propagation de cette source d’information. Contamination ou vaccin contre l’ignorance?
Si trouver le terme «UQAM» dans l’encyclopédie libre Wikipédia est simple, trouver les traces de Wikipédia entre les murs de l’Université du peuple l’est tout autant. Projetés au tableau, annexés aux notes de cours ou donnés en lecture obligatoire, les articles du septième site le plus consulté du Web sont de moins en moins considérés comme les enfants terribles de la connaissance. Plus encore, le fondateur du portail géant d’information, Jimmy Wales, affirmait récemment lors d’une conférence à Londres que son site basé sur les contributions volontaires d’internautes était assez mature pour figurer comme source crédible au bas de travaux universitaires.
L’UQAM n’a pas de règlement officiel sur l’utilisation de l’encyclopédie Wikipédia, s’en remettant plutôt à la subjectivité des professeurs. Jonathan Laporte, bibliothécaire au service des technologies de l’information à l’UQAM, a vécu les confusions liées à la popularité du portail de recherche alors qu’il enseignait au cégep. «Chaque professeur négociait l’émergence de Wikipédia selon ses préjugés, qui étaient souvent défavorables. De mon côté, certains reportages que j’ai vus ou entendus sur le sujet ont réussi à me convaincre de sa fiabilité. Je l’utilise d’ailleurs régulièrement.»
En 2005, une étude publiée dans le réputé magazine scientifique Nature révélait que Wikipédia avait très peu à envier à la bible d’information séculaire Encyclopædia Britannica quant à la qualité du contenu. Depuis, les articles de l’encyclopédie participative ont fait tache d’huile. Selon la base de données ScienceDirect, entre 2005 et 2008, le nombre de références à Wikipédia dans des journaux scientifiques internationaux est passé de 28 à 490.
Anne Goldenberg, doctorante à l’UQAM qui s’intéresse aux wikis (logiciels qui rendent les contenus Web facilement modifiables par tous les utilisateurs autorisés) croit que les raisons de ce succès sont entre autres contenues dans la racine hawaïenne du mot wiki, qui signifie «rapide» et «informel». «Wikipédia bénéficie d’une actualisation constante. Quand Pluton a perdu son statut de planète, ça n’a pris que quelques minutes pour que l’information soit corrigée. Les encyclopédies privées prennent beaucoup plus de temps pour s’adapter aux changements.»
Mais la facilité avec laquelle les internautes peuvent consulter et éditer l’information en ligne a le défaut de sa qualité. Tandis que les articles plus techniques, comme le fonctionnement d’un moteur, sont souvent sans taches, les sujets sociaux ou politiques attisent les sensibilités et les controverses. La page anglaise consacrée au cinéaste Roman Polanski a d’ailleurs été rapidement verrouillée pour tempérer les ardeurs après son arrestation surprise en Suisse, il y a un peu plus de deux semaines.
Selon Anne Goldenberg, ces tensions et ces bouleversements, signe d’échanges vivants et de remises en question perpétuelles, constituent le cœur de Wikipédia. Une effervescence intellectuelle qui ne doit pas être bâillonnée dans le milieu universitaire, croit la spécialiste des logiciels libres. Au contraire, elle permet d’éveiller l’esprit critique. «Il faut laisser le savoir circuler le plus librement possible. Même si les articles ne sont pas tous de qualité égale, ça permet aux étudiants d’appréhender et de juger la pertinence des sources.»
Anne Goldenberg rappelle que les mentalités peuvent évoluer au fil du temps: «Il y a quelques années, toutes les sources qui provenaient d’Internet étaient automatiquement bannies, jugées peu crédibles. Aujourd’hui, c’est un outil majeur pour la recherche universitaire.»
Source controversée
Plusieurs professeurs de l’UQAM demeurent peu convaincus des vertus de Wikipédia. En témoignent certains avertissements inclus dans les plans de cours: «Le recours à l’Internet n’est pas déconseillé, mais seules les sources institutionnelles fiables sont acceptées. Wikipédia, les blogues et groupes de discussion sont exclus d’emblée.»
Peu importe ces restrictions, le bibliothécaire Jonathan Laporte croit que Wikipédia demeurera un incontournable pour les étudiants: «Une encyclopédie est souvent le premier document qu’on consulte pour se faire une idée, même si on ne l’inclut pas comme source officielle dans les travaux. Les recherches faites sur Wikipédia ne rendent pas la démarche cognitive moins valable.»
Selon Guillaume Lamy, étudiant à la maîtrise en sociologie à l’UQAM et contributeur occasionnel à Wikipédia, les internautes sont inévitablement confrontés à l’outil de recherche universel: «Wikipédia a un net avantage sur les autres encyclopédies, car énormément de sites ajoutent des liens vers ses articles. On y atterrit par défaut.»
Wikipédia, presque anarchique sur la planète du savoir, est à l’image de son créateur, associé à la philosophie libertarienne. Bye bye la publicité et les partenariats d’affaires: les revenus du site hébergé par l’organisme à but non lucratif Wikimédia proviennent uniquement des dons des utilisateurs.
Mais cela n’empêche pas que la qualité éditoriale du contenu demeure limitée par un paradigme dominant. Anne Goldenberg est d’avis qu’une perception réduite du monde, largement occidentale, imprègne le contenu des articles. «Comme toute encyclopédie, qu’elle soit libre ou payante, c’est sûr que Wikipédia est teintée. Par exemple, la majorité des articles en français proviennent de France, avec un point de vue français. Un article sur l’Afrique risque donc d’être marqué par la vision du colonisateur. On dit que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire.»
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