Qui dit vrai?

Le Montréalais Adil Charkaoui est désormais un ex-présumé agent dormant d’Al-Qaida. Le jeudi 24 septembre, la juge Danièle Tremblay-Lamer, de la Cour fédérale, a levé les dernières conditions de remise en liberté qui pesaient contre l’homme d’origine marocaine depuis sa sortie de prison en février 2005.

Pour savourer pleinement sa liberté retrouvée, Adil Charkaoui a lui-même coupé le bracelet GPS qu’il devait constamment porter à sa cheville, version moderne du boulet que portaient les prisonniers autrefois. Le certificat de sécurité à l’origine de la saga judiciaire du musulman sera quant à lui vraisemblablement invalidé ce mercredi 30 septembre, lors d’une séance à huis clos. [Mise à jour: le certificat a finalement été invalidé le 14 octobre 2009]

Mais le calvaire du père de famille ne se terminera pas de sitôt. Son étiquette périmée de présumé membre d’Al-Qaida ne s’effacera pas avant longtemps, qu’il reçoive ou non – la dernière option étant la plus probable – les excuses qu’il exige du gouvernement conservateur.

Pire, rien n’empêche les autorités politiques fédérales d’émettre un nouveau certificat de sécurité contre Adil Charkaoui pour l’expulser vers le Maroc, car il ne possède pas la citoyenneté canadienne. Ce scénario est envisageable; les agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n’aiment pas laisser filer une personne qu’ils considèrent dangereuse.

Agent double
«Dans le jeu de l’espionnage et du contre-espionnage, on en vient très rapidement à ne plus savoir qui croire et qui ne pas croire», écrivait en 2003 le chroniqueur Yves Boisvert à propos de l’affaire Charkaoui. Rien n’est plus vrai.

Dès son arrestation digne des films hollywoodiens, en mai 2002 – des dizaines d’agents de la Gendarmerie royale du Canada, du SCRS, de la Sûreté du Québec et de l’Agence des services frontaliers ont encerclé sa voiture – Adil Charkaoui a crié au complot. Selon lui, le SCRS voulait le punir pour avoir refusé, quelques mois plus tôt, d’être un agent double.

Sa théorie est d’autant plus crédible qu’il ne répond pas à l’image stéréotypée des terroristes. Bien rasé, bien habillé et éduqué, ce père de trois enfants s’exprime dans un français parfait. Le caractère secret du certificat de sécurité en vertu duquel il a été arrêté – l’accusé n’a pas accès à toute la preuve qui pèse contre lui – ne fait qu’ajouter aux soupçons de conspiration.

Mais certains faits demeurent troublants. Un large pan de la vie d’Adil Charkaoui, de 1992 à 1999, reste flou. Il a notamment voyagé pendant plusieurs mois au Pakistan en 1998, une époque à laquelle ce pays servait de transit aux islamistes en chemin vers les camps de formation terroriste en Afghanistan. Ahmed Ressam, arrêté en possession d’explosifs à la frontière américaine en décembre 1999 – il voulait faire sauter l’aéroport de Los Angeles – a affirmé à des agents du SCRS avoir rencontré Adil Charkaoui dans un de ces camps… avant de se rétracter par la suite.

Et que dire des liens de Charkaoui avec Samir Ait Mohammed, Saïd Atmani, Abderraouf Hannachi et Abdellah Ouzghar, des personnes soupçonnées ou accusées de terrorisme? Et des 2000 dollars et de l’ordinateur portable qu’il aurait envoyés au Groupe islamique combattant marocain, à qui sont attribués les attentats de Casablanca en 2003 et ceux de Madrid, en 2004? Ou de cette conversation où il aurait discuté de la possibilité de détourner un avion?

Ces allégations, et toutes les questions qu’elles soulèvent, n’ont presque pas été discutées sur le fond devant les tribunaux, malgré les sept ans et quelques mois de procédures judiciaires qu’a duré l’affaire. Plutôt que de se défendre contre des accusations secrètes, Adil Charkaoui a décidé de s’attaquer à la constitutionnalité des certificats de sécurité.

Son combat, à défaut de porter fruit – quelques modifications ont été apportées à la loi, sans plus – a contraint le gouvernement à rendre publics plusieurs éléments de preuves. En août, les autorités fédérales ont préféré les retirer du dossier plutôt que de brûler leurs sources, signant l’arrêt de mort du certificat de sécurité d’Adil Charkaoui.

Alors, qui dit vrai? Le public ne le saura vraisemblablement jamais.

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