Entretien avec les Gülli, marchands de tapis
De passage sur la côte ouest de la Turquie, Montréal Campus s’est fait amateur de tissage et de thé. Discussion avec les frères Gülli, des marchands de tapis qui marient la tradition aux discussions politiques.
«Les tapis sont comme l’amitié: le mélange des couleurs et des motifs de partout dans le monde crée les plus beaux tableaux.» Cette citation du livre d’or de la Nomadic Art Gallery, écrite par une certaine Londonienne, Antonia, est la préférée d’Enis. Dans le village de Selçuk, sur la côte ouest de la Turquie, il y vend ses plus beaux tapis aux côtés de Marco, son frère aîné. Ils parlent politique et voyages, offrent du thé. «Entrez! Si vous ne pouvez pas acheter, ne vous inquiétez pas. On restera des amis!» s’exclament-ils dans un excellent anglais.
Selon le carnet de la boutique, Marco et Enis Gülli ont accueilli des visiteurs des quatre coins du globe. Français, Anglais, Américains, Canadiens, Australiens et Japonais les couvrent d’éloges et invitent au passage les marchands dans leur demeure. Les visiteurs sont grandement reconnaissants de leur immersion culturelle: le thé à la pomme et les repas, les costumes traditionnels, l’apprentissage du backgammon… et les chats. Dans la boutique, les six félins des propriétaires se baladent, tranquilles. Deux de ceux-là, Pati et Pamuk, viennent de la région natale des Gülli: le Van, situé dans la partie plus orientale du pays, où se trouve le plus grand lac de la Turquie. «Nos deux chats aux yeux verrons sont des vedettes de la télévision turque!» s’exclame Marco. «Ils ont fait des publicités partout dans le monde», ajoute Enis.
La Nomadic Art Gallery comprend trois boutiques. Parmi celles-là, l’une est une véritable caverne d’Ali Baba pour les amoureux du textile. Plus de 2 000 tapis et kilims uniques y sont entassés (le kilim, brodé au lieu d’être noué, est dépourvu de velours et donc moins luxueux que le tapis). Chacun d’eux a ses propres couleurs et ses propres symboles. «Souvent, on ne peut pas exactement savoir ce que le tapis signifie, puisque personne n’était dans la tête de la femme au moment où elle l’a fait», explique Marco. Certains ont plus de 80 ans: «Les tapis sont comme le vin. Ils s’enrichissent avec le temps». D’autres, confectionnés uniquement avec de la soie, valent plus de 10 000 dollars. Le hic, c’est que réalisés avec la technique turque, ces richissimes tapis requièrent les mains menues des jeunes filles pour être confectionnés.
Existe-t-il des Gülli aux doigts de fée dans la famille? «Mes sœurs ont déjà fait des tapis. Mais maintenant, elles préféreraient laver la vaisselle dans des restaurants plutôt que de passer à nouveau du temps sur du tissage!» avoue Enis. Celles qui avaient dû dans leur jeunesse mettre la main à la pâte pour aider l’entreprise familiale ont préféré entrer à l’université.
Si j’avais les ailes d’un ange
Des différentes techniques de confection, la discussion prend rapidement une tournure politique. D’origine kurde, Enis raconte avoir une préférence, voire un amour particulier pour le Québec. «Les Québécois sont plus sympathiques, plus ouverts, plus accueillants. Nous savons que vous avez votre propre culture: vous avez votre propre télévision, vous parlez votre propre langue. Nous aussi, nous voudrions notre Québec.» Bien que les 13 millions de Kurdes du pays représentent plus du quart de la population, ils demeurent aux prises avec la domination turque. «Les Turcs ont changé le nom de mon village, le nom de ma sœur. Ils refusent de nous engager, sans raison.» Mais Enis demeure positif: «Ça change. Nous avons de plus en plus de pouvoir économique et politique, principalement parce que nous sommes de plus en plus éduqués.»
L’avenir n’est toutefois pas rose pour tous. «Le développement de la technologie va tuer les boutiques comme la nôtre, prédit Marco. Notre technique va disparaître, tout comme les significations reliées à notre pratique. Le commerce du tapis est une montagne russe. Nous sommes actuellement dans une période creuse, sûrement en raison de la récession.» Fidèle à son habitude, l’aîné des Gülli garde tout de même le sourire. «Souviens-toi qu’il y aura toujours, quelque part, un client pour un tapis!»
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