Qui aurait cru que le groupe français Tryo, qui chante le retour aux racines et dénonce les excès du grand cirque capitaliste, allait un jour visiter les studios de Benoît Gagnon à TQS, jouer sur les ondes de CKOI et se produire au cœur du décor bétonné du quartier Dix30? Portrait d’un quatuor qui, malgré son succès commercial, a su rester authentique.
Obtenir une entrevue avec Tryo n’est pas aussi facile qu’aux débuts du groupe. En tournée au Québec pour présenter son nouvel opus, Ce que l’on sème, la formation française a été reçue dans la Belle Province comme un vieux copain qui revient de loin. Rien d’étonnant: les saltimbanques du reggae peuvent désormais se vanter d’être devenus le groupe le plus populaire de l’Hexagone. Toute une réussite pour ces musiciens dont la carrière est née du bouche à oreille et de l’engouement des radios étudiantes. Treize ans plus tard, les voilà fraîchement papas d’un quatrième album aux sonorités inspirées de voyages en Afrique, en Amérique du Sud et en Inde.
Trois concerts présentés à guichets fermés au Métropolis marquaient du même souffle leur retour dans l’arène médiatique québécoise, après deux ans d’absence. Guizmo, Mali, Manu et Danielito admettent cependant que le grand jeu de la promotion n’est pas ce qui les fait le plus sourire. «C’est sûr que ce n’est pas la partie la plus agréable de notre travail. Ce qu’on aime avant tout, c’est de se retrouver sur la scène, devant notre public», raconte Guizmo, rencontré par Montréal Campus avant qu’il ne monte sur les planches du théâtre l’Étoile, à Brossard.
Le compositeur, guitariste et chanteur au sein du collectif précise cependant que Tryo conserve toujours le parfait contrôle de ses apparitions publiques: «On est toujours consultés avant d’accepter une entrevue ou d’être reçus sur un plateau. Et c’est à nous que revient la décision de dire oui ou non. On favorise par exemple le live et les studios où on nous offre la possibilité de faire une performance.» Pour des artistes dont les paroles pourfendent entre autres la «starlettisation» de la musique et l’insipidité du petit écran, ces choix ne sont-ils pas contradictoires? «On n’a pas d’immenses affiches placardées à notre effigie et on essaie de ne pas se surexposer», répond Guizmo. «C’est sûr que ça peut agacer des fans de voir le groupe se transformer au fil des années, mais Tryo ne veut surtout pas vendre ses albums comme de la poudre à vaisselle.» Message aux recherchistes de Star Académie: ce n’est donc pas la peine de contacter les quatre lurons parisiens. «Sans doute qu’on refuserait l’invitation. À moins que le groupe se sépare, qu’on soit tous devenus très vieux et que ça devienne l’unique solution pour ne pas crever de faim.»
Le succès et pour cause
Loin de pâtir de sa popularité, l’engagement de Tryo s’en est même trouvé renforcé. Leur discours social et écologiste trouve désormais écho au-delà du cercle de gauchistes conquis d’avance à leurs débuts.
Si ce sont souvent leurs morceaux les plus doucereux qui atteignent les palmarès FM, comme Désolé pour hier soir, Monsieur Bibendum, l’Hymne de nos campagnes et Ce que l’on sème, cette visibilité les a quand même étonnés. «L’Hymne de nos campagnes était une chanson qui figurait sur notre premier disque. Envoyer en 2005 le démo du premier album à NRJ, une méga station radio en France, était avant tout une blague, se rappelle Guizmo. Mais les auditeurs ont apprécié et n’ont pas cessé d’appeler pour demander le morceau. C’est devenu un hit. Encore aujourd’hui, Tryo sur les ondes d’NRJ, ça en fait sourire plusieurs.» Une visibilité surprenante, mais néamoins profitable. «Ça permet aux gens de nous connaître et d’acheter nos albums s’ils apprécient notre musique et nos textes. Les chansons plus politiques, plus contestataires, elles, se trouvent dans ces albums, alors on y gagne.»
Parmi ces pièces moins mielleuses, Guizmo a écrit et composé Abdallâh, un hommage à la résistance des Touaregs. «Comme la plupart des gens, j’ignorais à peu près tout de leur situation, de leur précarité. C’est en me rendant au Niger que j’ai réalisé que je partageais leur lutte. Je me suis senti d’autant plus interpellé comme citoyen français, puisqu’une entreprise de chez nous, Areva, gère de l’uranium près de leurs terres et fait des dégâts immenses.» Ce voyage lui aura permis de participer au collectif Désert Rebel, dont l’épicentre est justement cet Abdallâh, un artiste dont l’œuvre est largement imprégné de la culture touareg.
Suivre la route
En plus de porter des textes engagés, voire parfois un peu premier degré, Tryo est associé à diverses organisations, dont Greenpeace. Des kiosques de l’ONG sont d’ailleurs installés à l’entrée des salles auxquelles les musiciens rendent visite. L’album Ce que l’on sème a pour sa part été fabriqué avec du papier biodégradable et imprimé au moyen d’encre végétale.
Le groupe n’a jamais cessé d’encourager l’approche écologique et l’action citoyenne en général, mais Guizmo se fait tranchant lorsqu’il est question d’adhérer à une idéologie précise ou à un parti politique: «On est énormément sollicités. Ségolène Royal, du Parti socialiste, nous a entre autres demandé de l’appuyer. Là-dessus, on est catégoriques: pas question de s’afficher pour un parti, même si les gens peuvent bien se douter de nos orientations politiques. Avant tout, on est des artistes.»
Soucieux de faire vibrer son public, après son passage dans plusieurs régions du Québec, Tryo offrira des concerts dans différentes régions de la France. Ce sera ensuite au tour de Buenos Aires, en Argentine, de recevoir les chanteurs altermondialistes. «Il semble qu’un public nous y attende, souligne Guizmo, incrédule. Danielito et un des musiciens de la tournée sont originaires d’Amérique du Sud. Pour eux, ce sera aussi l’occasion de retrouvailles.»
Treize ans plus tôt, cheveux longs et tête dans les nuages, Guizmo aurait-il pu se douter d’un tel succès? Sur un canapé noir de la loge de l’Étoile, cocktail à la main, il répond que non. «Et si on avait su, on n’aurait probablement jamais commencé», confie-t-il, un brin d’amertume dans la voix.
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