De monstres de foire à maîtres du monde

Une fierté geek s’affirme au Québec

Photo Frédérique Ménard-Aubin - Simon Carpentier, geek à l'air vif qui étudie en génie informatique, a une garde-robe teintée de sa passion. «Sortir danser avec un gros Network Staff dans le dos et une cravate huit bits, c'est vraiment gagnant.»

 
Enfermés dans leur sous-sol depuis des décennies, les passionnés d’informatique, de bandes dessinées et de jeux de rôle sortent du garde-robe. Longtemps marginalisés, les geeks en tout genre affichent maintenant leurs couleurs. La revanche des nerds a sonné.

 

Sur sa table de travail, trois ordinateurs se disputent l’espace. Sur sa table de chevet, un bouquin qui explique les rudiments d’un système d’exploitation des années 1980. Sur sa poitrine, le champignon de Mario Bros révèle sa véritable nature. Benjamin Vanheuverzwijn, 21 ans, est un geek.

 

Sa soif insatiable de connaissances pour un domaine précis lui vaut ce titre. Dans son cas, sa passion démesurée va à tout ce qui touche les machines intelligentes: «Je viens justement de m’acheter des puces électroniques pour lire l’information de l’ordinateur de ma voiture.»

L’étudiant en informatique ne constitue qu’une goutte dans l’océan geek québécois. Le site de jeux grandeur nature Bicolline, en Mauricie, accueille 2000 guerriers à sa grande bataille annuelle. Six cent dix clients reçoivent régulièrement leurs bédés favorites à la librairie montréalaise Millénium. Et plus de 25 000 amateurs de jeux vidéo se sont rendus au Festival Arcadia en novembre.

Le geek est vraiment top tendance selon Pascal Forget, de l’émission La revanche des nerdz, un magazine technologique diffusé à Ztélé: «Il y a un geekpower. C’est rendu mainstream.» Une popularité qui est loin de celle de l’origine du mot. Les Geckens étaient les monstres de foire les moins valorisés au XIIIe siècles dans l’Empire austro-hongrois. Le terme a commencé à être utilisé à la sauce contemporaine dans les années 1970. Il servait à caractériser les étudiants des campus américains qui vibraient pour l’informatique, les jeux vidéo et la série de romans fantastiques Le Seigneur des anneaux.

Au courant des dix dernières années, marquées par une vague d’adaptations cinématographiques d’histoires de superhéros et de séries fantastiques, le terme a changé de connotation. «Le trippeux de bédés des Simpson avec ses boutons et son pinch tout croche, ça n’existe plus», renchérit Jean-François Bélanger, de la librairie Millénium.
Sur le lot de geeks que le doctorant à l’Université Lyon III David Peyron a rencontré dans le cadre de sa thèse sur la culture geek, seulement 10% répondait au stéréotype physique du nerd à lunettes.

Selon Pascal Forget, il n’y a d’ailleurs pas de look geek. «La seule raison pour laquelle il pourrait y en avoir un, c’est parce que les geeks ne sont généralement pas sensibles à leur apparence.» Simon Carpentier, petit bonhomme à l’air vif qui étudie en génie informatique, a pourtant une garde-robe teintée de sa passion. «Sortir danser avec un gros Network Staff dans le dos et une cravate huit bits, c’est vraiment gagnant.»

Hors du trou
S’ils ne sont plus terrés dans leurs sous-sols, c’est qu’ils sont occupés ailleurs. «Les geeks dominent déjà le monde à leur manière. La société a de plus en plus besoin d’eux», croit Alexis Cornellier, directeur des opérations pour Île sans fil, un organisme qui veut fournir une connexion Internet gratuite dans tous les endroits publics de Montréal.

Une affirmation que seconde David Peyron. «Les premiers geeks ont aujourd’hui entre 30 et 50 ans et sont arrivés à des postes importants. Bill Gates en est un bon exemple.»

Les geeks veulent de plus en plus se rassembler. Le site Geekmontreal.com a d’ailleurs tissé sa toile sur le Web il y a un an et demi pour rendre accessible aux geeks montréalais un calendrier d’événements. Des soirées de jeux de société, de création de bédés et des conférences sont au menu. Le cofondateur du site Andrew Lindsay organise également des soirées geekout. «Ça se passe dans un bar avec plein de gens qui font différentes choses comme jouer à l’ordinateur, tricoter ou fabriquer des articles en macramé.»

Les femmes aussi ont leur soirée. Une trentaine de geekettes se rencontrent à Montréal chaque mois pour en apprendre sur la conception de jeux vidéo, la programmation ou le blogue dans le cadre des Girl Geek Dinners.

Geek de service
Gabriel Rodrigue, jeune entrepreneur de Québec qui aide les entreprises à se doter d’un site Web, est las de se sentir comme le geek de service. «Quand je me connecte sur MSN, tout le monde vient me poser des questions, même quelqu’un à qui je n’ai pas parlé depuis cinq ans. Il y a un côté jetable au geek.»

Les gars de La revanche des nerdz reçoivent quant à eux de nombreux courriels de téléspectateurs désespérés. «Les gens s’imaginent qu’on peut faire de la magie avec les ordinateurs, s’exaspère Pascal Forget. Des gens nous disent  « J’ai parlé à des ingénieurs d’Hydro-Québec, ils n’ont pas pu résoudre mon problème, alors je me tourne vers vous. » Je suis juste Ti-Clin Techno, je ne connais pas tout!» Ses connaissances sont parfois lourdes à porter. «L’univers a rattrapé les geeks, mais des fois, on aimerait mieux qu’il nous laisse tranquilles!» rigole-t-il.

Selon lui, même si le geek est à la mode, il est toutefois impossible de s’y convertir. «On naît geek, on ne le devient pas.» Les parents de son collègue François-Dominic Laramée l’installaient devant la vitrine d’un magasin d’électronique pour qu’il reste calme au centre commercial lorsqu’il n’était qu’un bambin.

Être geek est un mode de vie qui teinte le quotidien. Comme c’est le cas pour Alexis Cornellier, qui fait un arrêt à l’ordinateur lorsqu’il se lève la nuit pour aller au petit coin. «Tant qu’à être réveillé!»

Cet article a été co-rédigé avec Caroline Chrétien.

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