Femmes à barbe pas de barbe

 Photo: Joël Lemay

 

Entre le stand-up salé et les anecdotes sur la vie de couple, l’humour québécois comprend son lot de classiques. Pour arriver à faire leur place, certains artistes cassent les stéréotypes et s’organisent pour donner un second souffle à l’humour absurde. Portrait d’une clique dynamique prête à tout pour se réinventer.  


«Travailler en groupe pour aller plus loin dans la déconstruction de l’humour.» La mission que se sont fixée les participants des Femmes à barbe pas de barbe et pas nécessairement femmes non plus ne pourrait être plus claire. Ces soirées organisées une fois par mois attirent au bar Saint-Ciboire, rue Saint-Denis, un jeune public assoiffé de personnages et d’humour dynamité.

 

Louis Courchesne, 26 ans, a créé cet événement il y a un peu moins d’un an. Le jeune humoriste voulait donner la chance aux défenseurs de l’absurde, souvent marginalisés dans les soirées plus traditionnelles, d’avoir leur place sur la scène montréalaise de l’humour. Une façon pour ces humoristes inventifs de se trouver une niche, malgré l’aspect commercial du métier, explique Louis Courchesne. «L’humour est une forme d’art qui rapporte beaucoup de cash aux gens qui décident comment ça se fait», déplore-t-il. Fervent admirateur des Claude Meunier, Monty Python et Woody Allen de ce monde, ce diplômé de l’École nationale de l’humour (ENH) préfèrerait évoluer dans un environnement plus indépendant des producteurs. Un milieu surprenant, moins confortable, qui serait capable d’autocritique. Sa solution? «Que le choix soit là, et que le public le voit.»

Louis Courchesne s’est donc associé au duo Les Pic-Bois, formé de Maxime Gervais et Dominique Massicotte, et aux humoristes Mario Bélanger, Patrice Beauchesne et Étienne Théberge pour organiser les soirées au Saint-Ciboire. «L’union fait la force. En groupe, les projets sont plus faciles à mener à terme que lorsque tu es tout seul, explique Maxime Gervais. Les gens savent où te trouver.» «En ce moment, il y a un parcours qui se crée pour balancer la scène plus traditionnelle, qui permet de faire un humour moins standardisé», ajoute son collègue Dominique Massicotte.

Malgré la popularité récente de l’absurde, peu de soirées y étaient consacrées entièrement dans la métropole avant l’arrivée en ville des Femmes à barbe. Le concept a été directement inspiré par les Soirées Godzilla, ces spectacles en formule cabaret que Gary Bray et DJ Pocket avaient mis sur pied avec Mario Bélanger et Sylvain Ouellet au début des années 1990. «Ça a duré quatre ans. À chaque mercredi, on créait du nouveau, explique Mario Bélanger. On voulait surtout expérimenter, on ajoutait des trames sonores à nos numéros. Il y avait des sketchs, des monologues, de la chanson, du cirque…»

Devant des manifestations aussi hétéroclites de l’absurde, rares sont ceux qui arrivent à caractériser ce type d’humour un peu galvaudé, de l’avis de plusieurs. Simon Papineau, ancien uqamien dont la thèse porte sur l’humour absurde moderne, souligne que l’humain est au cœur du genre, qu’il s’agit souvent de «rendre le simple compliqué», de déformer la réalité. «C’est la consécration de l’anti-punch. C’est aussi le refuge pour pouvoir critiquer de façon plus subtile.» Selon lui, le succès des Denis Drolet et autres Jean-Thomas Jobin aura bien malgré lui su officialiser le genre. «L’absurde a maintenant ses propres standards, ses propres mécanismes.»

Les membres des Femmes à barbe ne croient pas, contrairement à ce qui a été annoncé après de tels succès commerciaux, que l’humour absurde soit pour autant dépassé. «À la base, l’humour, c’est surprendre, résume Mario Bélanger. L’humour absurde, c’est surprendre plus que d’autres. C’est un humour de recherche, d’expérimentation, qui deviendra peut-être quelque chose de normal!» Louis Courchesne confirme. «Ce n’est pas que du non-sens. C’est surtout de déconstruire la forme et le contenu.  On peut faire du stand-up. Dans le fond, on fait du nouvel humour. C’est l’absurde qui a ouvert beaucoup de portes.»


Maïs en crème et Banquier

Dominique Massicotte a souvent l’impression que le débat opposant humour classique et humour réinventé tourne en rond. «C’est comme le fameux débat du ″Est-ce qu’on a trop d’humoristes au Québec″. Ce ne sont pas des questions capitales. Il va toujours te rester du maïs en crème à l’épicerie.» Les deux beaux moineaux des Pic-Bois savent qu’ils sont catégorisés, mais n’écrivent pas en fonction de leur style et n’ont même jamais pensé à le définir. «On fait ça depuis notre secondaire 3. Le Banquier, c’est 10 000 fois plus absurde que ce que l’on pourrait faire.». Dix mille fois plus absurde que les personnages Frite et Moule, ces deux poètes et professeurs de maternelle à l’air dérangé qui peinturent leur visage de vieux rouge à lèvres?

La relève absurde n’est pas la seule à s’organiser. La directrice de l’École Nationale de l’Humour, Louise Richer, remarque que la tendance s’installe partout à Montréal. «Les gens sont proactifs. Ils se réunissent, les soirées se multiplient. Ils se donnent des conditions stimulantes pour créer du nouveau matériel.» Karine Léveillé, webmestre et créatrice du bottin www.lebothum.biz, met toutefois un bémol à cette organisation de la relève. «L’humour stagne, car des gens, pensant faire pour le mieux, nuisent à son développement. Des soirées qui donnent des cachets ridiculement bas, ou même aucun cachet, ne devraient pas exister. Il faut arrêter de vouloir faire à tout prix des soirées en perdant de vue la qualité.» Simon Papineau croit lui aussi que, paradoxalement, la scène locale est trop organisée. «Il manque de naturel à la base même de ce que devrait être l’humour. Ça doit être plus chaleureux, plus vrai.»

L’optimisme l’emporte malgré tout lorsqu’il est question de l’avenir de la scène underground humoristique montréalaise. «Je pense qu’il y a de plus en plus de gens qui font ça pour les bonnes raisons, souligne Maxime Gervais. C’est sûr qu’on aime l’amour du public, on veut rendre les gens heureux. Tout le monde veut réussir, mais je ne pense pas que notre but soit de faire visiter notre maison dans le 7 Jours

Femmes à barbe pas de barbe et pas nécessairement femmes non plus – 15 mars, au Saint-Ciboire

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