Finie l’époque où la littérature populaire était achetée en cachette, joues rougies, au détour d’une gare. D’anciens étudiants en littérature de l’UQAM la ramènent en grande pompe, plus séduisante et jeune que jamais.
Dans un bar de la rue Bélanger, transformé pour l’occasion en salle de spectacle – ou est-ce le contraire? – ,plusieurs auteurs attendent avec anxiété la lecture publique de leur texte. Ces écrivains, en herbe pour la plupart, viennent d’être publiés pour la première fois dans la revue Biscuit chinois. Ils ne se connaissent pas encore, mais une passion les unit: la pop-littérature.
Cette forme d’écriture offre des histoires simples et des intrigues faciles à comprendre dans un vocabulaire accessible. Du roman de gare et des Harlequin, elle a évolué et s’est diversifiée sous la plume des Jacques Poulin (La traduction est une histoire d’amour) et Anne Robillard (Chevaliers d’émeraude) de ce monde. Mais l’essence du genre repose sur des nouvelles qui se lisent rapidement, sans effort intellectuel intense.
Avec plus de 100 offres de textes par numéro, les éditeurs de la revue Biscuit chinois peuvent se permettre de choisir leurs nouvelles avec soin. La littérature populaire ne sacrifie donc pas la qualité de l’écriture, même si son but premier est de toucher le grand public. «La pop-littérature, c’est comme la Belle Gueule. C’est une bière de micro-brasserie, mais que tout le monde connaît», résume Gabriel Meunier, l’un des fondateurs de Biscuit chinois.
Ouvertement populaire, ce magazine s’est donné comme mandat d’offrir aux Québécois des nouvelles ludiques en dehors des stéréotypes littéraires. Comme les phrases que l’on trouve dans les biscuits qui donnent leur nom à la revue, les textes publiés sont divertissants. D’où le recours à l’appellation pop-littérature. «On ne donne pas dans la douleur profonde, les haïkus ou les essais sur le mouvement ségrégationniste russe», résume Gabriel Meunier à la blague.
Mais qui dit littérature populaire ne dit pas nécessairement humour gras et calembours, nuance le jeune éditeur. «Les textes de Biscuit chinois ne sont pas tous drôles, mais ce sont tous de belles histoires qu’on a du fun à lire.»
La toute jeune revue de pop-littérature est née en 2006 de l’initiative de Gabriel Meunier et Joaquim Luppens, alors fraîchement diplômés du baccalauréat enétudes littéraires de l’UQAM. Les magazines littéraires qui existaient à l’époque ont dégoûté Joaquim Luppens. «Il y avait beaucoup trop de nouvelles écrites sur un ton déprimant et aucune revue n’était graphiquement évocatrice», explique celui qui étudie aujourd’hui à la maîtrise en création littéraire.
La pop-littérature existait déjà à l’époque dans les recueils de nouvelles ou dans certains romans dits accessibles – Quatre filles et un jeans de Ann Brashares, Et si c’était vrai de Marc Lévy – ou dans certaines revues littéraires. Mais les fondateurs de Biscuit chinois reprochaient aux auteurs et aux éditeurs de ne pas lutter assez contre les stéréotypes associés à cette littérature. Un objectif que les deux acolytes, au contraire, se sont fixé dès le départ.
Paye facultative
Julianne Racine et Geneviève Janelle faisaient partie des auteurs présents au dernier lancement de Biscuit chinois. Julianne Racine y publiait sa première nouvelle. Un moment mémorable pour cette étudiante à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, qui souhaiterait un jour devenir comédienne. Surtout qu’elle sait pertinemment que l’écriture, à elle seule, ne lui paiera ni un appartement, ni même de quoi manger. «On ne peut pas en vivre, pas même comme job étudiante.» La rémunération que Julianne obtiendra de son texte dans Biscuit chinois lui paiera peut-être un souper au restaurant avec son copain pour fêter l’événement. Geneviève Janelle, de son côté, a déjà publié des textes dans plusieurs revues. Étudiante à temps partiel au certificat en création littéraire à l’UQAM, elle croit toutefois peu aux possibilités de faire carrière dans le domaine. «Je le fais par passion, pas pour en vivre.»
La pop-littérature offre toutefois quelques options supplémentaires aux écrivains en herbe. En particulier lorsque la littérature ludique devient de plus en plus populaire, croit Geneviève Janelle, surtout à cause de la mode des recueils de nouvelles.
Malgré le succès de la littérature populaire, plusieurs auteurs la boudent. Geneviève Janelle déplore ce snobisme envers la culture pop, souvent présent dans les programmes de littérature. «Beaucoup de personnes font une séparation marquée entre le littéraire et le reste.» Une distinction dont se fout royalement Julianne Racine. «Quand j’ai soumis un texte à Biscuit chinois, je ne me suis pas dit: “je n’ai pas besoin de me forcer”. J’ai écrit un texte qui me plaît et c’est tout.»
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