La Zizanie

Dans la tempête, un homme se profile à l’entrée du village. C’est Tullius Détritus, langue de vipère romaine envoyée par César en Armorique. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire calomnie, le manipulateur professionnel parvient à semer la zizanie dans le paisible village gaulois d’Astérix et Obélix.

La Zizanie, quinzième volume des aventures des irréductibles Gaulois paru en 1979, débutait sur cette prémisse. En ce début d’année 2009, Détritus serait-il de retour pour semer la bisbille?
Plusieurs – et j’en suis – ont en effet une amère impression de déjà vu devant la guerre de tranchées qui oppose, depuis plusieurs années, le dessinateur d’Astérix, Albert Uderzo, à son héritière Sylvie Uderzo.

L’héritière en question aurait mal digéré que son père et Anne Goscinny aient vendu les droits d’édition des Aventures d’Astérix le Gaulois à Hachette pour une somme plutôt modeste. Le contrat, comble de l’horreur pour Sylvie Uderzo, incluait la possibilité de confier Astérix à d’autres auteurs après sa mort, une éventualité que son père avait jusque là refusée. Cette histoire moche de bataille autour de l’œuvre trop rentable – Uderzo possède à lui seul un avion Mirage, quatre Ferrari, un vaste domaine et beaucoup, beaucoup de bidous – d’un artiste même pas encore mort a eu tôt fait de passionner la presse francophone et les journalistes à potin du monde entier.

Mais au-delà du human interest, cette querelle d’héritage m’a fait réaliser toute l’importance d’une bonne gestion du patrimoine artistique. Quels intérêts devraient être privilégiés à la mort d’un créateur? Ceux du public ou ceux des héritiers de l’artiste, touchant alors à juste titre les fruits du travail de leur aïeul? Comment éviter qu’une œuvre ne tombe entre les mains de vils mercantilistes, qui l’exploiteraient jusqu’à ce que le marché soit saturé de papier de toilette et de T-shirts moches à son effigie?

Les auteurs, peintres, musiciens et compositeurs qui connaissent une renommée durable n’ont pas mille façons de protéger leur œuvre de cette infamie posthume: ils doivent régler la question de leur vivant. C’est ce qu’a fait Albert Uderzo, qui invoque que c’est dans l’intérêt du public, plutôt que par vengeance personnelle, qu’il a retiré à sa fille et à son gendre détesté la gestion de son patrimoine. Discutable ou pas, la décision lui revenait.

Hergé, créateur de Tintin, a pour sa part choisi de faire confiance à sa famille. Sa veuve, Fanny Rodwell, est depuis reconnue pour l’intransigeance dont elle fait preuve dès qu’il est question de protéger la franchise Tintin. Son nouveau mari, Nick Rodwell, et elle ont pourtant été accusés d’exercer un contrôle excessif sur la franchise – notamment en tenant une liste noire de journalistes exclus des activités de la société Moulinsart – et d’avoir pris le parti de l’élitisme.

Mais si ça brasse chez les héritiers de Tintin et d’Astérix, ils s’en tirent toujours mieux que la famille Picasso, le cas de figure en matière de chicanes de succession. Les multiples descendants du peintre s’entredéchirent depuis plus de trente ans pour mettre la main sur la colossale fortune accumulée par l’artiste, mort en 1973 sans avoir laissé de directives quant à son partage. Le bilan? Trois morts – trois suicides, un petit-fils et deux ex-femmes –, une famille déchirée et des millions de dollars de produits dérivés plus ou moins autorisés en circulation.

Tullius Détritus existe donc, et il est hyperactif! Vu le nombre de querelles d’héritiers qui éclatent au-dessus du cadavre encore chaud d’artistes populaires, René Goscinny, auteur des premières aventures d’Astérix, semble avoir eu une épiphanie en écrivant ce scénario… à moins qu’il ne se soit inspiré de la triste histoire des Picasso. À cette différence que l’histoire imaginée par le jovial scénariste, elle, se concluait sur de bons sentiments: la prise de conscience de la bassesse des conflits matériels, de bonnes tapes dans le dos et un gros banquet pour se remettre de ses émotions. Si seulement la vie était simple comme un album d’Astérix!

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